« On est là pour que le texte nous interroge et celui-là, ceux-là, méritent qu’on les lise et qu’on les relise. »
On
est hors des certitudes, alors bien sûr c’est difficile à lire,
cela demande à être lu et relu, cela ne laisse que peu de place à
la syntaxe ordinaire, bouscule la perception chronologique que nous
avons apprise depuis toujours. Il nous faut sans cesse réinterroger
ce que nous croyons avoir compris de ce couple d’enfants Eugène et
Georgia, de leur mère qui les aura détesté parce qu’être enceinte
accoucher signifie mourir et que le lecteur est embarqué
dans une autre langue déstructurée, un autre monde sans ses
habituels repères où l’on ne sait jamais du premier coup, où
l’on ne sait même pas toujours à quoi se rapporte l’adjectif,
où se trouve le verbe, quel en est le sujet, où l’on se demande
parfois si la marque du pluriel a été volontairement ou non
oubliée. La phrase certaine, celle d’un monde de certitude ici
n’existe pas, ne saurait exister tant la perte du « bon
sens » est consommée. On ira voir ailleurs, dans d’autres
textes, mais aussi des fragments de biographie, tenter de percevoir
quel est le sens de cette écriture qui littéralement désoriente,
dit à quel point nous avons du mal à comprendre ce qui sort du
champ de nos habitudes. On entendra surtout la langue produite par ce
pas de côté, sa force de recomposition, ce qu’elle dit de la
fragilité de nos repères, de l’enfermement que produit notre
syntaxe. Ici l’accumulation étouffe, construit la caverne vers
laquelle revenir, parvenir au cœur de l’organisme […] où
leurs restes seront conservés.
La Ritournelle a osé aller voir du côté de Suzanne, dire le refus
d’être mère et la culpabilité liée à ce refus, elle explore
l’univers de ces deux enfants l’un enfermé dans la collection
des objets souvenirs de la morte, l’autre se livrant aux hommes à
l’image de la putain du père (Roma) mais consciente qu’elle doit
– faute de quoi elle serait elle aussi étouffée - se défaire de
ses vêtements : Impossible dit-elle une fois l’homme
passé de conserver le vêtement si prompt à devenir souvenir.
Et ce rejet des souvenirs laisse sans doute entendre, se défaire de
la figure du père ablater courts et longs souvenirs est-il
écrit à propos du datif et ablatif de Roma.
Il
faut lire en parallèle Le plancher, également roman
d’une folie familiale. La matière est dense, mais on n’est pas
là pour lire des romans vite écrits, vite jetés ! On est là
pour que le texte nous interroge et celui-là, ceux-là, méritent
qu’on les lise et qu’on les relise.
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