«  Avant l’âge de vingt ans les journées sont éternelles, l’ennui s’y étire volontiers dans toute la paralysie de sa torpeur. »





La chambre


Avant tout et à tout moment elle est terrifiée par la demande que semble lui faire son entourage, car, adolescente, elle est censée répondre à une question précise, la question de la place qu’elle doit prendre dans ce monde. Mais bien sûr elle n’y comprend goutte. Pourquoi choisir un emploi, choisir un homme, choisir une destinée ? Pourquoi ? Ne lui suffit-il pas d’être celle que d’autres choisissent ? N’y a-t-il pas moyen de rester tout au long de sa vie celle qui est l’offrande ? Voilà qui ne l’inquiéterait point, au lieu qu’elle devrait obéir à ce commandement général qui la prie de déterminer dès à présent une existence, alors qu’elle n’a jamais eu encore le goût de rien d’abstrait, alors qu’elle a abandonné le lycée avant les examens, par dévergondage et par pure indifférence à son propre sort. Ressentir la vie au plus profond c’est confusément ce qu’elle veut, mais où trouver une irrécusable sensation ailleurs que dans l’intensité des plaisirs charnels et dans une dissolution expérimentée à travers le « dérèglement de tous les sens » ? Avant l’âge de vingt ans les journées sont éternelles, l’ennui s’y étire volontiers dans toute la paralysie de sa torpeur. Il nous faut détruire la constitution même qui nous autorise à souffrir cet envahisseur. Autour de soi les modèles ne manquent pas, tout le romantisme décelable apparaît chez ceux-là qui brûlent leur vie avec imprudence et dégoût. Leurs exploits non calculés ne valent sans doute que sur l’heure et parfois moins que ce que vaudront plus tard les remords, mais qu’importe. Et si rares sont ceux qui ne se lassent pas des coups d’éclat dans l’air du temps, ceux à qui la frayeur avait fait revêtir un piètre déguisement de héros, il en est pourtant qui ne se renieront pas et tomberont fièrement d’une mort précise, ainsi qu’au front un soldat fanatique.
pp. 53/54

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