« N’anesthésiez pas mes souffrances, elles sont mes fureurs pour accéder ailleurs. »





L’Heure du poltron

Je sais, j’aurais dû fermer la porte plus tôt, au moment où j’étais encore capable de me lever et de tourner la clé dans la serrure ou de m’enfuir loin, impossible à retrouver vivant. Mais j’avais peur, je prenais vos mains secourables et j’aimais vous voir vous détourner pour pleurer. J’étais devenu attrayant, moi le petit bourgeois puritain américain, loué pour son zèle et son honnêteté. J’étais aussi stable que mon poste et mes enfants ont suivi mon exemple.
Il me reste un peu de temps pour glisser dans d’autres destinées. En route ! Je veux vivre cette dernière chance d’être un autre, d’autres, avec mon âme encore faiblement clouée à mon corps. N’anesthésiez pas mes souffrances, elles sont mes fureurs pour accéder ailleurs. Je garde la bouche ouverte pour ne rater aucune goulée d’air mais j’ai perdu maintenant la femme russe de la gare ! J’espère qu’elle reviendra pour 20 h 20. Je suis l’architecte de ces gares. L’idée m’est venue du boustrophédon, l’ancienne écriture grecque qui suit le labour du bœuf, une ligne lue dans un sens, la suivante dans l’autre sens. Des allers et des retours, mais l’aller peut se nommer retour comme le retour peut se nommer aller.
pp. 104/105

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