« Tes tresses noires rabattues sur ta nuque caressent-elles tes nerfs et ta mémoire ? »






Le bouc de l’empereur Haï-Tsiou

II
Prisonniers, mes yeux d’onyx fixent le vide. Les Dieux ne m’ont pas encore rendormi : j’attends leur bon vouloir. Je fus homme autrefois, animal aussi, puis œuvre d’art adorée de son souverain, palpitante et bien vivante dans les microsillons de mon bois. 
J’attendais moi aussi patiemment mon heure pour rejoindre le Nirvâna.


III
Et je pense : Haï-Tsiou, mon Empereur impavide, je garde de toi le souvenir d’un homme grand et fort, aux yeux obliques. Tes tresses noires rabattues sur ta nuque caressent-elles tes nerfs et ta mémoire ? Te souviens-tu de moi ? Et cette nuit où tu m’as entraîné dans ce cauchemar, qui devrait être le tien ?

Ton silence parle pour toi : laisse-moi te rappeler cette nuit enlunée d’où tombaient des comètes à queue rouge, maladroitement interprétées par tes prêtres que tu imitais en lustrant mes flancs. Cette nuit-là, la tête tournée vers l’ouverture de ta tente, j’assistais à la scène de tes beuveries. La température agréable vous avait fait abandonner les tapis duveteux, et c’était sur l’herbe de la plaine que vous vous étiez allongés ; Hemt, le meilleur cavalier de ton empire, les autres et toi aviez laissé mourir le feu, et seul battait le rythme irrégulier de vos soupirs.
pp. 30/31

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