« Et pour Youri et Lela, tels Paolo et Francesca dans le poème de Dante, ce fut la lecture ensemble de vers d’amour courtois qui leur fit lever les yeux et s’unir leurs lèvres. »



Le Coureur

Youri avait goûté à la langue française lors d’un camp de jeunesse dans le Caucase où il avait rencontré une jeune fille géorgienne. Lela était d’une famille d’aristocrates ruinés bien avant l’arrivée des bolcheviques, et dont elle avait hérité l’amour de la langue et de la culture française. Son enfance avait été bercée par les poèmes français que lui récitait sa grand-mère, et Lela les avait appris avec les subtiles modulations de la vieille femme. Lela et Youri s’éloignaient dès que possible de leurs camarades avec l’alibi d’aller chercher des bois fossilisés dans les rivières de montagne. Et pour Youri et Lela, tels Paolo et Francesca dans le poème de Dante, ce fut la lecture ensemble de vers d’amour courtois qui leur fit lever les yeux et s’unir leurs lèvres. Lela offrit à Youri un vieux dictionnaire comportant en son centre des pages jaunes de grammaire française, et le livre témoin de leur jeune amour, Les amours de Cassandre de Ronsard. Youri posait tendrement sa main sur la bouche de Lela quand la jeune fille évoquait l’avenir, elle irait à l’institut de Français de Tbilissi et... Ils n’avaient aucune chance de se revoir jamais, Youri était un banni assigné à résidence à Vladivostok. À la fin de l’été, il rentra, chagrin, dans son internat. Il continua d’étudier en solitaire et dénicha d’autres livres en français sur des étals de bouquinistes, Hugo, Stendhal, Zola, Musset, Nerval…
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