Qu’y a-t-il dans la tête d’un adolescent ?


Il est une statue au milieu de ces gens qui s’affolent.
Martin, lycéen lambda. En quête d’identification, d’amis ou de solitude, il ne sait pas bien, c’est selon. Il aimerait bien qu’on le remarque, il aimerait qu’on l’attende, en particulier Félix. Mais il n’est qu’un parmi les autres, un jeune garçon discret dont l’imagination va trop vite.
Au milieu du parc qu’il traverse, il y a une statue : qu’a-t-il fait cet homme pour mériter d’être immortalisé dans le bronze ? Sans doute a-t-il été un jour glorieux et pourtant aujourd’hui c’est avec indifférence que les regards le traversent. Alors, cela valait-il la peine d’être héroïque ? Les autres, le monde, valent-ils la peine ?
Dans la solitude de la petite ville nocturne ou dans la nature, Martin erre à la recherche de lui-même. Seul il se sent bien, mais la norme à son âge, c’est la communauté. L’adolescence et ses codes sont rigides, le ridicule et l’ostracisme ne sont jamais loin et dès lors, comment s’en sortir ? C’est peut-être par l’attention qu’il porte à la nature que Martin cultive sa différence. Grâce à cet univers toujours vivant, toujours changeant, il échappe aux exigences d’un monde étroit qui enferme et se fige.
Être comme les autres, se noyer dans la masse et pourtant être soi-même. Déchiffrer le monde pour se comprendre. Attendre d’autrui ce qu’une âme inquiète imagine en secret. C’est le dilemme adolescent : soi et les autres, à un âge où bienveillance et empathie n’existent pas. Égoïsme radical.
Qu’y a-t-il dans la tête d’un adolescent ? Ce Martin-là, qui ne semble avoir autour de lui ni parents ni écrans, nous invite dans la sienne. Ses simples mots, parfois poétiques, nous parviennent par le filtre d’un narrateur qui signale trop ouvertement sa présence. Ses quelques interventions écartent le lecteur de l’intimité qui se crée par ailleurs, du lien qu’on voudrait tisser avec lui pour le comprendre.
Mais la fragilité de cet adolescent reste émouvante. Il est tentatives, désirs, suggestions. Il est la vie dans ce village inerte aux héros immobiles, au château en ruine.
Il voudrait sauter dans l’eau, lui aussi. Dans la vraie eau, dans l’eau vive et fraîche de la rivière plutôt que dans le bassin rectangulaire et carrelé de la piscine municipale. Il voudrait que l’eau coure sur lui, sous lui, autour de lui : une eau nouvelle, sortie tout droit des collines vertes qui s’étendent à l’horizon.
Seule la nature bruisse et féconde son imaginaire. Faut-il s’y abandonner ? La délicatesse d’Antonin Crenn semble ouvrir une porte, une petite porte sur l’incompréhensible adolescence, période qu’on ne comprend pas quand on la vit et qu’on ne comprend plus une fois passée. Mais peut-être faut-il mieux vivre et s’abandonner plutôt que chercher à comprendre… ne pas avoir peur de soi-même, de ses sentiments, du regard des autres…
Si vous avez un adolescent chez vous, tentez Le héros et les autres : vous n’y trouverez pas l’apaisement (vous en avez sûrement besoin…) mais quelques pages de liberté, au cœur d’un livre comme un refuge.
Chronique volée le site Tête de lecture

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