Je devrais le gifler.




On ne lui a pas laissé le choix, mais Marc est ravi : en accueillant une brigade de policiers dans son sous-sol, le voilà enfin certain d'être en sécurité. Et tant pis si sa femme Cécile trouve la présence des policiers anxiogène et regrette sa liberté passée... On rit des poulets guignolesques qui s'agitent autour de Marc et Cécile, jusqu'à ce que la satire se fasse plus sombre. En une soixantaine de pages rondement menées, Fabien Maréchal croque une société qui ressemble désespérément à la nôtre : obsession sécuritaire, bureaucratie qui tourne à vide, stigmatisation des chômeurs... Et sa conclusion est désolante : on s'habitue décidément à tout.

Florilège
C’est juste une annexe du commissariat, dit Marc d’une voix caressante. Et puis, pourquoi n’aurions nous pas droit à la nôtre ?
— Peut-être parce que nous n’en voulons pas ?
 Nous ? »
Marc lâche mes hanches.
« Tu as déjà pensé à ce que ça représente, pour un homme, de savoir son foyer en sécurité ?
— Je ne suis pas en sécurité, avec toi ?
— Avec ce chômage, tous ces gens qui ne fichent rien de leurs journées, je ne suis pas rassuré. »

« Je n'ai jamais compris ce truc chez les femmes, insiste-t-il. Vous adorez le boucan. Mixeur, sèche-cheveux, tondeuse, à moins de 80 décibels, vous croyez que c'est en panne et vous appelez le service après-vente. Ma chérie, si nous ne vivions pas ensemble, je t'offrirais une machine à bruit pour ton anniversaire. »
Je devrais le gifler.

À l’instant où je pousse notre portillon, un petit flic bourrelé surgit d’entre les thuyas de la haie et tend un bras en l’air comme pour un salut fasciste. J’en lâche mon sac à main.
« Vous m’avez fait peur.
 Papiers, madame !
 Mais… je suis chez moi ! »
J’attends que le flic ramasse mon sac. Il se contente de baisser le bras.
« Je ne connais pas encore tout le monde ici. », explique-t-il.
Je vais pour le contourner, mais il s’interpose à nouveau, bras en ailes d’avion.
« Qui me prouve que vous habitez là ? Vos papiers ou je vous embarque. »
Je ne tiens guère à passer la soirée dans mon sous-sol. Je lui colle ma carte d’identité sous les yeux. La porte de la maison s’ouvre au même instant.
« Te voilà enfin !, fait Marc depuis le haut des marches. Laisse donc monsieur travailler. »
Le policier s’écarte avec un sourire de détraqué sexuel. Je monte l’escalier extérieur, claque la porte derrière moi et envoie promener mon sac sur le canapé du séjour.
« Nous avons un garde en permanence, jubile Marc en me collant une main aux fesses. n’est-ce pas formidable ? Bien sûr, si tu le distrais tout le temps…
 Il refusait de me laisser passer.
— Je me disais bien qu’il avait l’air particulièrement consciencieux. »

Pour être franche, on se fait à la vidéosurveillance comme aux trains quand on habite à côté d’une voie ferrée. Le temps dissout tout. Il suffit de ne pas penser qu’un policier indélicat, quand le lieutenant est absent… Que les enregistrements sont détruits… Qu’une machine ne les duplique pas pour le cas où… Il suffit d’oublier. L’oubli peut devenir une habitude que l’on prend, comme des gens finissent par aimer les conditions de leur malheur.

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