Polenta-Vodka
L’immeuble,
construction bancale et hétéroclite, est une fourmilière bariolée.
Les habitants parlent fort et s’interpellent dans toutes les
langues d’un balcon à l’autre.
Au
milieu du brouhaha et des multiples odeurs de cette tour de Babel, un
fumet singulier vient me titiller les narines et exciter ma
curiosité.
Du
balcon j’en identifie la provenance : deux étages plus bas.
Quatre
secondes plus tard je frappe à sa porte.
L’homme
ouvre.
En
quelques gestes je lui fais comprendre que sa cuisine sent bon, et
que je voudrais en savoir plus. Il m’invite à partager sa
moussaka.
J’entre.
Il
s’appelle Damolis. Ça veut dire doux. Je
vais vite apprivoiser la langue grecque.
Aubergines
fondantes viande délicatement épicée béchamel muscade, l’élégance
de l’association ravit mon palais, me pénètre en douceur,
m’entraîne dans une suite de sensations inédites.
Que
je m’empresse de retrouver dès le lendemain.
Puis
le jour suivant.
Dès
que ma journée se termine, je file chez lui.
À
chacune de mes visites un plat différent, tel un rituel. Pour
chacun des plats, une exploration singulière. Ma mémoire
emmagasine. Les recettes autant que les gestes qui les accompagnent.
Tel mets, telle caresse.
Le
caviar d’oursin arrosé d’ouzo nous conduit directement vers le
patio où nous nous enlaçons fortement sur le fauteuil en osier.
Les
aubergines confites purée de sésame feuilles de vigne farcies se
dégustent assis sur les poufs en cuir de Marrakech. Nus.
Le
poulet aux gombos nous mène vers la chambre.
Chaque
dîner libère nos instincts.
J’aime
son regard qui enveloppe mon corps et ses lèvres qui glissent sur
moi. Les épices et la sueur. Les arômes et les liqueurs. Les
sucreries et les effleurements. Et lorsque le liquide coule le long
de mon menton et sur mon cou, on lèche on suce on déguste, à
même la peau.
Je
ne lui demande pas son autorisation et me glisse dans sa cuisine. Il
est un peu réticent, mais m’y accepte malgré tout. Et me montre.
Les saveurs qui se mélangent, les ingrédients miscibles, les épices
qui rehaussent et celles qui éteignent.
On
goûte on aiguise les appétits on se met en bouche.
On
compare on effleure on mélange
On
saupoudre on palpe on tente.
Je
me passionne.
Je
suis une apprentie qui apprend très vite.
J’ai
aussi mon mot à dire et mon avis à donner.
L’histoire
aurait pu durer une vie entière.
Mais
un Russe furieux fait brusquement irruption dans ma vie.
En
brandissant une bouteille de vodka.
pp. 29/30
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