Oublier ? Pardonner ? Surmonter ? Refouler ? Que peut faire Camille, avec deux « l » et un « e » — deuzéleu —, devenu adulte, pour survivre à ce qu’il s’est passé chez les B. ? Écrivain, il choisit d’écrire, pour témoigner. Sans rien épargner, sans rien excuser. Pour enfin être entendu de ceux qui ne l’ont pas écouté.
Extrait :
J’ai
repoussé ce moment une vie entière. M’asseoir à mon bureau pour
enfin me mettre à table.
Une
vie entière à brandir, pour moi-même et parfois pour les autres,
ce joker. Pourquoi continuer à protéger ainsi l’animal qui se
nourrit de moi ? Je dois aller au bout.
Parce
que j’ai vu mes parents ce midi. Parce qu’ils m’ont parlé. Du
procès. Du gamin condamné pour viol, incapable de comprendre son
acte. De ses excuses mécaniques devant le juge.
Ils
m’ont parlé. Comme ils ne l’avaient jamais fait jusque-là. Et
ce sont leurs excuses que j’ai entendues. Le mot a-t-il seulement
été prononcé ? Peu importe. Ils ont dit les mots que j’ignorais
attendre. Mots qui libèrent — qui le doivent en tout cas, sinon à
quoi bon ?
Une
vie entière à porter cette histoire, sans l’avoir pour autant
jamais tue. Le mal vient peut-être de là. Aucun secret, aucun
refoulement. Au contraire : la froide lucidité de l’enfant de
six ans que j’étais. Mais dire n’est pas nommer. Savoir n’est
pas prendre conscience. Et, à force, j’ai fait de cette histoire
celle d’un autre. Ma sensibilité, mon attention aux histoires qui
ne sont pas les miennes, mon avidité des autres — transformée
en honorable empathie pour leur souffrance —, ne sont-ils pas
au fond que le masque présentable de ma lâcheté ? De mon
impuissance à sonder ma propre histoire ?
Par
où commencer ?
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