« Malgré les mots. Par-delà les mots. »


Extrait :
Le couple que nous formons se saoule de mots. Les mots doux. Ceux qui fâchent. Ceux qui réconcilient. Les mots qui font contact. Qui se touchent plus sûrement que nos mains, que nos corps. Les sentiments grandissent, s’affermissent. Mais le désir, déjà fragile, s’estompe et finit par se taire. Malgré les mots. Par-delà les mots. Nous ne réalisons pas dans quel paradoxe nos années communes nous enferment. Des années gorgées de paroles, inconscientes du grand silence qui s’installe. Qui frustre, qui blesse, qui culpabilise. Elle n’a aucun désir pour moi. Aucun désir tout court. Sa culpabilité lie en secret un pacte avec ma propre frustration : statu quo. Silence absolu — les yeux tristes de mon père. Ne pas risquer de rompre l’équilibre des sentiments. Ne pas devenir le jouet d’un désir absent. Ne pas faire d’elle le jouet d’un désir confisqué. Ce jeu d’adultes continue de me faire peur. Alors je fais ce que j’ai toujours appris à faire : je recouvre cette peur d’une couche de silence. Quand elle tente de parler par-dessus le silence, je répète malgré moi une autre leçon : je tempère, édulcore, simplifie, minimise. Des mots qui ne rassurent que celui qui les prononce et qui reconduisent à l’identique, à plusieurs années de distance, l’hypocrisie dans laquelle j’ai grandi. Mes deuzéleu reviennent me tenir à l’écart du monde.
pp. 43/44

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