Sortie du jour !
Cette
chère Simone
Le
22 juin. Ce fameux 22 juin. Le soir du 22 juin.
Soi-disant
vous auriez vu monter Bernard. D’un pas lourd. Un petit gros. Vous
racontez ça. Un petit gros au pas lourd. N’importe quoi. Quand on
connait Bernard. Un petit gros au pas lourd. Lui. Si élancé. Avec
une allure faut voir.
Vers
les 20 heures je serais descendue pour savoir si vous pouviez me
réparer mon couteau électrique et je me serais adressée à toi, la
Henriot, toi qu’es même pas foutue de
changer une ampoule, et j’aurais encore pris mon attitude de femme
du monde, d’ailleurs dès que je vous parle je prends cet air
supérieur alors que je ne suis qu’une femme de mauvaise vie. Vous
dites ça. Comme ça. Une femme de mauvaise vie. On aurait presque
envie d’en rire. Quand on me connaît. D’abord je n’ai jamais
utilisé de couteau électrique. Pour quoi faire un couteau
électrique ?
Une
femme de mauvaise vie. Moi.
Vous
imaginez sans doute que ma vie est un champ de roses. Mes parents qui
divorcent quand j’ai à peine quatre ans. Mes frères qui
s’installent avec ma mère alors que c’est mon père qui nous
prend, moi et ma sœur Madeleine, et qui se remet aussi sec en ménage
avec Suzanne, une veuve, pas bien futée, une belle-mère quoi, rien
qu’une belle-mère, une marâtre, qui débarque
avec ses deux garçons, Jacques, l’aîné, que j’épouse
quand j’ai dix-sept ans, alors que ma sœur Madeleine prend Michel
le second. Autant rester entre nous on se dit. Jacques qui me fait
cinq mômes. Vous ne savez pas ce que c’est que d’être mariée
si jeune à un type qui vous fait tous ces gosses et qui se met à
boire et à vous maltraiter et à vous tromper et que je finis par
foutre à la porte ? Hein les Henriot ? Et après, on fait quoi ?
À votre avis ? On se débrouille. Toute seule. On exerce toute
sorte de métiers. Infirmière, couturière, représentante en
distributeurs automatiques, démarcheuse en assurance, et même
vendeuse de voitures d’occasion.
Une
femme de mauvaise vie.
Qu’est-ce
qu’il faut pas entendre.
Chameaux
d’Henriot.
pp. 144/145
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