« et plus précisément une pituite »



Dans le numéro 115 de Brèves, il y est question d’Humeurs

Onze textes répartis en quatre sections : Corps, Transhumance, Mémoire, Noirceurs. Dès le début, une « Note de l'auteur » nous apprend que plusieurs de ces textes « ont fait l'objet d'adaptation théâtrale, de mise en voix ou d'une première édition » et l'auteur remercie les actrices, acteurs, metteuses et metteurs en scène, interprètes, qui ont été les « porte-parole » de ces histoires. Et de fait le lecteur a envie de dire ces textes à haute voix. D'ailleurs l'une de ces nouvelles, « Cette chère Simone » (dans Noirceurs) commence par une curieuse phrase, détachée, en italiques, qui s'apparente à une didascalie : « Un homme s'habille progressivement en femme ». Une autre nouvelle, « Façon Escurial » (dans Mémoire ) « met en scène» une troupe de théâtre amateur qui ne joue que du Michel de Ghelderode sous la houlette d'un metteur en scène pervers, monstrueux, sadique, qui terrifie ses actrices et acteurs, mais qui les fascine, et le héros-narrateur est pratiquement obligé de revenir l'année suivante malgré la peur épouvantable qu'il a. 
Les nouvelles les plus impressionnantes sont les trois premières qui font partie de la section Corps. Les personnages-narrateurs sont inattendus, extravagants : dans « Dorothée », une petite fille qui « avec son air buté ( ... ) tétanise son monde », qui se dédouble et s'observe elle-même depuis le plafond ; précisément, au sens médical que ce mot avait autrefois et plus précisément une pituite ; dans « Chair de Carton », un homme qui a été coupé en deux lors d'un accident, la tête d'un côté, le corps de l'autre, et l'on a réussi à greffer sa Joseph Merrick, le fameux Elephant Man, mais le lecteur, un peu déçu, préfère le film de David Lynch (1980) qui va plus loin.
D'ailleurs ce recueil est un peu inégal : quelques histoires paraissent un peu banales, par exemple celle de cette femme qui perd la mémoire (Alzheimer a déjà beaucoup servi !) ; mais la plupart transportent le lecteur dans un univers étrange même si cet univers est apparemment réaliste, un univers cruel, fantomatique, halluciné. Les chutes sont souvent brutales, à couper le souffle.
Tous ces textes sont remarquablement écrits, dans une langue superbement « orale », sans ponctuation par endroits, ce qui amène le lecteur à faire défiler tous ces mots enchaînés les uns aux autres à vive allure, sans respirer, créant ainsi une avalanche, un étouffement ; ailleurs la ponctuation, au contraire, coupe les phrases, dissocie les mots, provoquant des visions hallucinatoires. L'effet est toujours saisissant.
Un grand livre-coup de poing, à lire absolument.
jean-Loup Martin



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