Livre
qui tente de dire les non-dits et, par les mots, de faire parler les
silences. Le soupçon du genre pose le cadre : Camille, un prénom
dont on ne sait, au juste, s'il fixe une identité (masculin-féminin)
ou déploie son ambiguïté. Une ambiguïté qui a cours pendant 50
pages. Honte ou colère ? Impuissance ou lâcheté ? Écart entre la
perception des événements par un enfant de six ans et leur
réception par les proches, inconscience qui confine à
l'indifférence, le petit garçon découvre un monde sans savoir
toujours ce qu'il doit penser de ce qui lui arrive. Quel sens donner à cette rupture qui a les allures de la continuité vingt ans plus
tard ? Il faudra cinquante pages au narrateur pour nommer le
traumatisme, mettre des mots sur une réalité impossible à saisir,
à comprendre. Que s'est-il passé ce jour-là ? A-t-on simplement
joué, expérimenté ? Quelqu'un m'a-t-il réellement agressé ?
On
joue un rôle par peur de déranger, on se fait discret dans l'espoir
de passer inaperçu. Mais la réalité est là, indicible, qui
travaille en vous jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la honte d'être
ce que l'on a subi. Le narrateur évoque l'impossibilité de se
mettre à sa place vingt ans plus tard. Quelle attitude adoptée
quand on peine à comprendre le sens des événements ? Quand la
normalité est la seule réponse que les familles vous opposent ?
Aveu d'impuissance (?) et lettre émouvante sur la quête de sens, ce
livre de Cyrille Latour pèse chaque mot dans l'intention de
débusquer un sens qui échappe. Ce
qu'il s'est passé chez les B. ce
jour-là relève de l'aporie, de l'impasse mentale. Pour l'accepter,
le comprendre, il faut des mots et des excuses. Il faut donc écrire
malgré le brouillard des années, se rappeler les souvenirs :
l'odeur de poireau dans la cuisine, les lattes de l'escalier qui
grince. Pour tenter de faire sortir de cette bulle de solitude un peu
de sens et de rendre audible le silence de l'enfant devenu adulte,
lourd de souffrance tue, « tempérée,
édulcorée, simplifiée, minimisée ».
Peut-être avais-je compris que ce qu'il s'est passé chez les B. était au fond moins important que ce qu'il ne s'était pas passé par la suite. J'ai tenté de briser le silence dans lequel tout le monde s'était —par réflexe, par facilité ?— réfugié. Le profond silence des bonnes familles. Mais je n'ai pas su crier assez fort. Je n'ai pour tout dire, une fois de plus, pas osé. Surtout ne pas déranger. Ne pas s'autoriser à déranger. Je n'étais pas de taille. Briser ce silence-là, c'était vouloir rompre avec toute une tradition de déni maquillé en pudeur. Le silence noir des bonnes familles.
Les
années et l'écriture pour prendre le recul nécessaire, la distance
utile à tout travail qui vise la clairvoyance, l'intelligibilité du
moment. On fait « comme si » pour croire à l'illusion que
rien n'est grave. C'est en tout cas ce que les adultes s'acharnent à
faire comprendre, surtout dans les familles respectables. Mais les
rêves où les taches de sperme se mêlent à l'innocence sacrifiée
vous rappellent la portée du drame qui n'en était pas un. Mes deuzéleu est
très beau livre à l'écriture clinique, d'une sobriété
confondante. Sans pathos, sans haine, juste pour dire. Pour conjurer
les images insupportables. Pour être enfin entendu. Et accepter.
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