Pour évoquer la vie grise il faut la noblesse de l'auteure. Est-elle pour autant déclassée ? Peut être. Mais comme disait Duras « elle a la noblesse de la banalité » (Duras) de celle chez qui peuvent se reconnaître les perdants magnifiques – artistes ou non. A savoir celles et ceux qui ne savent pas prendre les haches de leur pinceaux et autres brosses ou l'outil de leur intelligence par le manche pour faire du petit bois de l'autre.
Certes « la vie d'artiste » est avant tout mise en exergue, avec ses us et coutumes, ses lois, ses « vents », et par exemple la « pratique de dégainer un agenda dans le coup » (pour l'être). Mais les petits faits dépassent le monde de l'art. Ils sont mis en récit avec humour corrosif et jamais gratuit. Le regard devient verbe et les mots pénètrent pour ficher bas le génie claudiquant et les tics verbeux et verbaux de ceux qui, parvenus, demandent aux autres de faire oeuvre de silence. Ils leur font croire que leur eau pure possède le goût de l'invisible mais les perdants sont déjà hors de leur vue.
Écrire revient ici à raconter une histoire ou plutôt son absence puisqu'elle est ratée. D'où la présence du texte avec beaucoup de blanc sur la page. Il y a là sous l'ironie une émotion. Car l'auteure écrit ses idées (justes) avec des mots pour dire, voire planifier les échecs et les dépressions lorsqu'on perd la connaissance non d'être mais de résister. Ce qui n'empêche pas Sandra Bechtel de regarder avec distance ironique les choses ordinaires, banales et les manies « up to date » comme on disait jadis ou « swag » comme on dit aujourd'hui (mais je n'en suis pas sûr).
Jean-Paul Gavard-Perret pour De l’art helvétique contemporain
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