Qui du modèle ou de l’écrivain façonne l’oeuvre ?




Les aventures de mon double ou la projection de soi dans une répétition de saynètes absurdes, cocasses où apparaît pleinement la vanité de notre monde. Quand il ne cède pas à un humour facile ou à une dénonciation entendue de la vulgarité de nos creuses aspirations (la tendresse mal cachée derrière une crasse sexualité), Mon ami Junger crée un joli jeu sur les identifications de son double, l’inversion du modèle, voire l’esseulement de toute cette projection.
Commençons par les réticences suscitées en moi par ce roman : au risque de me répéter, je supporte assez mal l’humour quand s’y devine une ombre de cynisme ou une crâne satisfaction de soi. On ne peut aller jusqu’à dire que Mon ami Junger s’expose tout à fait à ce reproche. On le soupçonne sans doute de ne pas savoir exactement où l’auteur veut en venir. Toma E multiplie les apparitions de son narrateur et de son compagnon, Junger son double inversé qui sert de miroir aux pires de ses pulsions. La quête de sens, dans des sectes ou dans la consommation, revient régulièrement. Notre monde moderne marche sur la tête, ce roman s’amuse de sa vanité. On en ressort vidé comme si l’imaginaire ne proposait aucune alternative. Au fond, peut-être n’est-ce que cela sur lequel ma lecture a buté : le rire (et le roman est vraiment drôle) de Mon ami Junger tourne à vide laisse entendre une résignation un rien égrillarde. L’homme et sa sexualité désastreuse, son goût de l’apparence, ses versatiles justifications mais surtout sa propension à tout repoussé sur l’autre, son semblable, celui à qui il ne saurait s’identifier que dans sa négation, toujours plus ou moins meurtrières dans ces scènes aux chutes enlevées.
Admettons que je ne sois (en ce moment surtout ?) peu perméable à l’humour de Toma E. D’autre assurément le seront. Disons cependant, avoir été bien plus sensible à la répétition de ce jeu d’identification née de cette projection de soi. Le narrateur expose sa solitude, s’invente un ami et parvient ainsi à se reconnaître, pour ne pas dire à apparaître. Il vole le portrait que Junger fait de lui et le nomme autoportrait. La farce touche quand le réel de ce livre devient un basculement qui se répète et se confond. Des fragments un peu fous où le désir mimétique redevient une pulsion primale. Au-delà de la dénonciation sociale, Toma E montre la jalousie, très visuelle, qui nous anime tous. On veut ressembler tout en se différenciant. Mon ami Junger parvient à donner plusieurs incarnations de ce désir, son humour cette fois m’emporte quand il moque les figurations artistiques. Un très beau fragment parle du livre que le narrateur veut écrire et qui s’intitulera, vous l’aurez deviné, Mon ami Junger : le projet devient immédiatement celui de Junger. Qui du modèle ou de l’écrivain façonne l’oeuvre, peut-on vraiment se croire unique quand chaque manifestation sociale de soi est l’invention d’un autre soi-même ? Et le rire devient alors cette nécessaire dissociation, cette fine ironie qui dit autre chose que notre enchaînement aux images sociales.

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