Comment un anagramme passe-t-il au statut de poème ?


À l’encontre d’un Yves Barré, dont les deux publications de Quasi, évoquée dans la première partie du présent I.D, affirment une évidente continuité, il est des auteurs pour lesquels chaque livre rend compte d’une expérience particulière.  Julien Boutreux est de ceux-là. Songez que Cinquante vues du Serpentaire, précédent opus de l’auteur du Rasoir d’Ockham appliqué au poète (polder 181), relevait carrément de la science-fiction (voir l’I.D n° 858) ! 

Nouvelle direction avec le livre aujourd’hui publié par les éditions Lunatique ; le titre annonce clairement le programme : Anagrammes. Le poète se livre en effet à cet art et gymnastique de l’esprit, qui consiste à découvrir dans les lettres d’un mot, voire d’une expression, un mot second et secret qu’il s’agit de reconstituer, de dévoiler. Comme s’il existait des messages cachés à l’intérieur du langage le plus commun, et qu’il revenait à certains de les percer à jour, de nous les révéler. Ce faisant, trait d’une ironie qui court par ailleurs sur tout l’ouvrage, Julien Boutreux se trouve confronté à cette appréciation critique finale qui semble lui signifier l’échec de sa tentative d’écriture :

Oups ! J’ai loupé mon opus.

Cette autodérision fait sourire, il va de soi. Au moins, pourrait-on continuer sur ce mode de la plaisanterie, le maniement des mots lui aura au moins appris, sinon rappelé, qu’Un ange nage et qu’une tuile est parfois utile, retrouvé l’expression peu usitée : Ingrat comme le granit, répondu à la question : Que fait la police ? Elle picole. 

Formule simple, percutante, comme autant de pointes, l’anagramme, pas plus que tout autre jeu de mots, ne fait le poème. Pas à lui seul. Démonstration :


Le commandant des croyants
fait sa cueillette

Les poires sont des proies
faciles pour les califes.

*
Junky

Mon dealer est un leader,
sa drogue est dans ma gourde ;
une seringue, Seigneur !

* 
Optimisme

Le passé nous a sapés,
le présent est un serpent,
mais l’avenir est un navire.

Comment un anagramme passe-t-il au statut de poème ? Que serait l’assertion : Le vandale sent la lavande, sans l’humour de la mise en perspective offerte par le titre : La Rome décadente assimile les Barbares. Sur ce point, le rapprochement proposé par cette chronique entre Julien Boutreux et Yves Barré, paraît encore davantage justifié : l’un et l’autre pratiquent l’art du titre avec un égal doigté, car c’est le titre qui dans les deux cas fait tenir droit des vers volontiers approximatifs.

Et il ne serait pas mauvais que la leçon soit retenue par les jeunes poètes qui proposent leur manuscrit, en vue d’être retenus dans la collection Polder, ou dans les pages de la revue Décharge. Soignez vos titres !


Anagrammes, de Julien Boutreux

Revue Décharge


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