Nuit blanche à Soweto
J’ai glissé quelques grammes de poudre brune dans un sachet de plastique. Les premières gouttes de sueur perlent à mon front. Je sais que je ne dois pas paniquer, mais c’est plus fort que moi. Mon corps s’exprime, il montre ce qu’il ressent. Et, lorsque le douanier m’ordonne d’ouvrir mon sac à dos, je me raidis. Heureusement, je suis étranger. Je parle mal l’anglais et ne connais pas un mot d’afrikaans. J’ai des excuses.
Le douanier me regarde d’un œil soupçonneux, il n’a pas l’air commode. Pourtant je suis un garçon banal. Un mètre quatre-vingt-deux, cheveux blonds frisés, posture voûtée. Mes yeux sont d’un bleu triste délavé, jamais une fille n’a plongé dedans. Les quelques simulacres d’amour que j’ai eus sont restés au bord de mes cils, sans vouloir sauter.
Je vide mon sac lentement. J’ai peur de tomber sur le sachet de poudre brune, le douanier semble si sévère. Il a croisé les bras et tape maintenant du pied, je dois me dépêcher. Une file gigantesque de passagers s’est formée derrière moi, comme si tous les avions du monde s’étaient donné rendez-vous au même endroit, au même moment, pour décoller. C’est sans doute le cas, me dis-je, oui, c’est cela : une force magnétique les a attirés vers ce lieu, inconnu de moi, adoré par mon père ; ils sont venus lui rendre un dernier hommage ; mon père ce pilote, mort en plein vol ; non mais quelle ironie ! Par chance, son copilote a pu prendre la relève. Il a posé l’appareil comme il faut, sur la bonne piste d’atterrissage, à Roissy, et personne d’autre n’est mort. Il n’y a eu que mon père.
Mais, ciel ! C’était mon père !
Son sang était mon sang, sa peau était ma peau. Alors j’ai cette pensée honteuse : j’aurais volontiers échangé la vie des cinq cent dix autres passagers contre la sienne ; j’aurais préféré voir cette vieille dame aux cheveux blancs quitter ce monde ; et ce bébé aussi, j’aurais aimé qu’il meure, qu’il ne sourit plus, qu’il ne pleure plus, et sa mère avec ; les hôtesses de l’air, les chômeurs, les médecins ; les secrétaires, les connards et les êtres merveilleux ; voilà : je le pense ! Avec toute la force de mon cœur! J’aurais voulu qu’ils crèvent, tous, à la place de mon père !
pp. 17/18
Commentaires
Enregistrer un commentaire