Pita

 

Lecture de Charlotte Monégier Image & photos de Charlotte Monégier Réalisation et montage de Charlotte Monégier

Elle a les yeux cernés de noir. Les joues renfoncées, les lèvres sèches. Son visage porte la tristesse des femmes abandonnées, elle le sait, elle le sent, mais elle s’en che. Seule compte l’absence de Pita. Elle l'attend depuis plusieurs heures dans cet appartement miteux et il ne revient pas. Elle voudrait tant le revoir. Le serrer fort dans ses bras et lui dire que l’amour avec lui a eu quelque chose d’envoûtant. Elle soupire. Ses doigts s’activent dans son sac à la recherche d’une Marlboro.
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« Merde ! » Plus de cigarette. Elle hésite un instant à sortir en acheter, elle a repéré un tabac hier soir sur le chemin, et puis non. Il vaut mieux patienter. C’est là que Pita vit. C’est ce qu’il lui a raconté.
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Elle essaie de se calmer. Le bâtiment est plongé dans l’obscurité, un peu comme elle. Lentement, elle se laisse glisser à terre, les fesses contre un mur crasseux qui porte les cicatrices des visiteurs des lieux. « Joey + Marco, 29 avril 1986 », un chewing-gum, une traînée de pisse. Un paquet de chips presque vide. Elle s'en saisit, sans avoir faim, juste pour faire quelque chose de ses mains, lorsqu'un bruit vif retentit. Elle se redresse, paniquée. Serre son sac contre sa lourde poitrine et descend quelques marches. Une étrange lueur éclate dans la cage d’escalier, suivie d’une musique inconnue, faite de tambours et de chants rauques. À chacun de ses pas, les notes montent en puissance. Arrivée dans le hall de l’immeuble, elle s’arrête. La porte d’une ancienne loge de concierge est barrée de rubalise. Un faisceau lumineux s’échappe de la serrure; derrière, des gens dansent et rient, on dirait une fête.
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Elle se rappelle.
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C’était la veille au soir, la pendule au mur indiquait minuit. Elle sirotait un kir infect dans un bistrot vieillot de la rue d'Amsterdam, sans dire un mot. Sa grand-mère venait de mourir. Il n’y avait rien à ajouter, rien à commenter. Pendant trente ans, elle avait partagé sa vie, près de Lisieux, dans cette maison eurie bordant l’Orbiquet. Sa propre mère était morte en couches et son père, vaguement baba cool, était parti pour l’Inde au début des années quatre-vingt. Il avait rejoint une sorte de communauté hippie, perdue dans le Tamil Nadu. Incapable de l’élever, il l’avait laissée là, en Normandie, chez sa grand-mère, avec pour seule consigne de ne pas la baptiser. Le reste fut oublié. Son père ne revint jamais. 

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