« Du flow, du rythme et des vers habités. »



Partir ailleurs en quelques vers, de Clichy à Saint-Leu, de Paris à Vientiane en passant par l'imprononçable Seydisfjördur, c'est peu dire que l'on voit du pays avec la poésie aérienne de Charlotte Monégier. Le dernier recueil de nouvelles de l'auteure (Le Petit peuple des nuages) avait laissé filtrer un goût pour le rêve et le voyage. En Normandie ou en Afrique du Sud, en Inde ou au lac du Bourget, les mots sont les mêmes mais chaque situation, un marché local, un transport en commun ou un lac est l'occasion de s'étonner, de recueillir des impressions et de partir là où on ne sait pas, là où une rencontre ou un simple paysage peut faire basculer un destin.

Charlotte Monégier nous fait donc voyager en toute simplicité, en toute fluidité et cela suffit à notre bonheur de lecteur exilé, toujours en exil sur les traces de ce qui, dans la lecture, peut faire vibrer un écho, un souvenir dans la description d'un moment. Quelques tropismes : les rivages balayés par les embruns, les bars et les verres, les hauteurs enneigées, les passants et les âmes qu'on tente de percer à jour d'un simple regard, les envies de décollages et les pleurs rue Soufflot à la lecture d'une lettre qui ne sera jamais envoyée. La foule et le vide, le silence et le brouhaha d'une place. Le désir d'espace, d'être libre (presque un instinct de survie) le besoin de se déplacer, l'envie de respirer dans les grands espaces et le désir en fond de décor, toujours, entre les êtres qui persistent à ne pas se croiser dans la réalité, ou multiplient les occasions manquées. A défaut, imaginer l'autre, ses traits, son corps, ses lèvres, ce que l'amant imaginaire est capable de donner dans les mots, un baiser, une caresse, en rythme. Au fond, ce très joli recueil m'a mis sous les yeux, comme une évidence, ce que j'attends d'un poème. Du flow, du rythme et des vers habités. La poésie de Charlotte Monégier est d'une belle fluidité, légère et aérienne, suspendue aux émotions sur un fil sans jamais basculer. L'Inde, l'Islande, la Réunion, l'île Maurice, Paris et sa banlieue, le Laos, le Japon deviennent aussi familiers qu'un arbre du quartier dans une tension forte entre l'ailleurs et ce qu'on y projette, un passé révolu et ce qu'il en reste dans l'imaginaire. Si mélancolie il y a pour ces voyages de jeunesse, celle-ci n'est jamais pesante ou aigrie. Plutôt plaisante, légèrement écorchée même, qui agirait comme un exhausteur de goût à même de raviver une joie et d'en figurer l'élan dans le présent. Un recueil comme une chambre d'écho, très agréable, pour aller voir ailleurs ce que l'on a si souvent rêvé et que l'on ne verra probablement jamais. Une très belle respiration, un souffle sur le chemin des bichiques, à Douville-en-Auge ou en direction de Höfn pour, d'une certaine manière, apprendre à regarder ce que l'on ne voit plus et renaître à soi.

Je n'aspirais plus qu'à cela :

De l'air, de l'air, de l'air,

Et rien pour l'arrêter.

Je rêvais d'un espace, sans mur ni frontière,

Où le vide serait roi.

                                                                                                                                                                  

Voyage(s), Charlotte Monégier, Lunatique, mai 2021, 90 p., 10€ (une carte postale en prime si vous l'achetez sur le site de l'éditeur (https://www.editions-lunatique.com/product-page/voyage-s)


Une chronique délicatement prélevée sur le site de l’espadon.




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