« Foirer avec panache pour être un beau loser. »

    

À paraître le 15 novembre (papier + ePub)

Pédalées, d’Olivier Hervé

Pédalées propose 21 itinéraires littéraires comme autant d’étapes du Tour du France et de virages de l’Alpe d’Huez. Une Grande Boucle intime de 240 km où les succès font écho aux douleurs, les défaites aux exploits. C’est aussi un hommage amoureux et critique à la petite reine, à ses beautés, à ses ratés, à la folie et aux illusions qu’elle fait naître.

Rouler, c’est…

Un opéra en rafales. Être porté par les lieux, habité par les territoires. Un arpentage sensible. Mettre de l’ordre dans son chaos intime, laisser libre cours à son propre désordre. Une obsession, un truc que l’on fait. Un enchantement, un effondrement, un événement. Devenir meilleur. Trouver son style. Vivre dans « le meilleur des mondes possibles ».

Génial et pénible.



En attendant la sortie du livre, on peut toujours commencer par s’entraîner en lisant un extrait :



Abécédaire


V comme Vitesse

C’est d’une tristesse affligeante mais, pensez-y, la vitesse n’est que moyenne. Elle est de pointe, parfois. Seulement, comment une moyenne pourrait-elle être belle ? Ou digne d’intérêt ?

Il était une fois un pédalier accablé par la répétition des cercles, les saccades heurtées de ses cavaliers indélicats, rustiques jusque dans leur façon d’agripper la bête. Les- quels serrent de toutes leurs forces et assènent des ruades, démarrent au quart de tour sans raison, tambourinent les coups comme un marteau enfonce les vis, maltraitent le pédalier en un douloureux va-et-vient et s’échinent à faire durer la peine. Ce pédalier s’est un jour marié avec un cadre en triangle. Trois angles pour les arrondir. Propre sur lui, doté d’une transmission aussi jolie qu’efficace. Il a eu une fille et un garçon, incapables de s’entendre sur la bonne allure. La vitesse de croisière est source des plus grandes discordes car, peut-être, n’existe-t-elle tout simplement pas. Elle est un scénario que l’on réécrit à chaque caprice de la pente, positif  ou négatif. Lunatique et inconséquente, je ne lui fais guère confiance. Le petit reproche à la grande d’aller bien trop vite. La grande reproche à son petit frère d’être bien trop lent. Sans doute une question de dents plus ou moins usées, du nombre de crocs à l’avant, de pignons pointus à l’arrière. Ces dents de requin menacent de laisser leur trace noire de graisse sur le dos d’un mollet, sur une main indélicate et distraite, ou sur un bas de pantalon au vent. Trouver le rythme, comme on cherche la vérité, voilà la clé ! L’un est fatigué, paresseux, l’autre pleine d’allant enthousiaste, d’envie d’avancées. Des pignons et des plateaux irréconciliables, incompatibles, indifférents. Comme une vallée et un plateau, un talweg et une combe. Un problème d’orographie ? De topographie ? Trouver la cadence, mission du pilote, est une gageure. Une façon de garder l’équilibre sans le sacrifice de ses forces. Mais, l’équilibre et le centre ennuient. La vitesse à laquelle on grimpe est d’ailleurs sans intérêt. S’accrocher à la pente en dit moins sur nos aptitudes que sur notre foi. On préfère pencher à droite, à gauche toute, quitte à se planter. Nous, ce qu’on veut, à défaut de vérité, ce sont des cavalcades infer- nales au bout du désespoir, des enjambées insensées pour tout perdre, des fulgurances pour tout gagner ou tout foirer. Des rafales de larmes, bourrasques en chagrin, une valise de jolis tourments. Foirer avec panache pour être un beau loser. La vitesse m’a tuer !

pp. 122-123


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