Le vélo en rêve

  

À paraître le 15 novembre (papier + ePub)

Pédalées, d’Olivier Hervé

Pédalées propose 21 itinéraires littéraires comme autant d’étapes du Tour du France et de virages de l’Alpe d’Huez. Une Grande Boucle intime de 240 km où les succès font écho aux douleurs, les défaites aux exploits. C’est aussi un hommage amoureux et critique à la petite reine, à ses beautés, à ses ratés, à la folie et aux illusions qu’elle fait naître.

Rouler, c’est…

Un opéra en rafales. Être porté par les lieux, habité par les territoires. Un arpentage sensible. Mettre de l’ordre dans son chaos intime, laisser libre cours à son propre désordre. Une obsession, un truc que l’on fait. Un enchantement, un effondrement, un événement. Devenir meilleur. Trouver son style. Vivre dans « le meilleur des mondes possibles ».

Génial et pénible.



En attendant la sortie du livre, on peut toujours commencer par s’entraîner en lisant un extrait :



Le vélo en rêve


Voilà, c’est fait, j’ai chopé le virus de la bicyclette. Un vélo dans le ciboulot, qui me promet l’éternité. La casquette PMU sur la tête, je collectionnerai les cartes Panini pour les échanger avec mes potes, j’irai poireauter cinq heures à la Casse Déserte pour voir passer les coureurs 30 secondes, leur demander un bidon avec respect, la tête levée et l’étincelle dans le regard. Et le soir, dans mon lit, en fixant le plafond constellé de blanc, je visualiserai les peintures au sol à la gloire de mes idoles, rêverai de leurs exploits pour les dessiner avec mon corps, les toucher avec mon cœur. Je ferme les yeux et ouvre ma mémoire en grand. J’imagine le jour où je serai comme eux, à leur place, les bras plantés au ciel et l’index pointé vers les dieux sur la ligne d’arrivée.

Petit, sans le savoir, je travaillais déjà la rigueur du coup de pédale. Une rigueur insouciante mais très sérieuse, comme dans un jeu d’enfant. Je goûtais le sens de l’effort  et mimais la joie à venir.  Debout à 5 h du matin, on allait grimper    des cols en Maurienne, en Vanoise, en Tarentaise. Tutoyer  les sommets, chatouiller un pic vu en photo, ça se méritait. Mais, quel abruti voudrait randonner sous les gouttes de pluie dans le froid coupant de l’ubac, sur des sols meubles et rocailleux entre les pensées et l’ancolie, dans l’espoir d’aper- cevoir quelque vague chaîne de montagne ? Ces longues promenades ont pourtant bercé mes vacances estivales. Ce ne furent jamais des heures perdues. On se mangeait tous les jours 500 m de dénivelé. Trois grosses collines du Morvan à la suite, quinze fois mon talus de Beauce. J’avais 7 ans et ça me bouffait. On aurait dit un programme monacal, calvaire en rafale : levé à 5 h 30 un 4 août, à 5 h 30 le lendemain, à 5 h 30 le 6 août, et ainsi de suite pendant deux semaines… Un supplice de cavale dont on se souvient toute une vie, qui ensorcelle au point d’écrire un bouquin. Attention, il n’était pas encore question de vélo — on grimpe rarement un col à 7 ans —, mais bien de marche, de randonnées avec de grosses chaussures renforcées, achetées Au Vieux Campeur de la rue des Écoles, dans le cinquième arrondissement. Maintien du pied assuré, confort au top.

Pourtant, de retour à l’appartement au bout d’une jour- née épuisante, je confondais, du brouillard épais dans la tête, les plats et les noms de cols : la Madeleine, l’osso bucco, Lancebranlette, la Louïe Blanche... Elle était belle, celle-là. Complètement vidé par la balade du jour, je n’avais qu’une envie, rester vautré dans le lit de la petite chambre de notre deux-pièces des Arcs pour reposer mes membres fatigués, perclus de douleurs. Et j’ai balancé à mon père : « Demain, je ne fais pas ton Osso Buco là, ras-le-cul, j’en peux plus, merde ! »

pp. 15-16


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