« Force. Faille. Nuances. »


Nous commencerons par une question toute simple à priori, qui sera ainsi posée à tous Les Anges de ce mois de Novembre. Deux questions, en fait...
Depuis quand écrivez-vous, et pourquoi partager « ses » écrits ?
Depuis que j’ai compris que j’avais appris à parler, mais pas à me dire. Ce qui vibre fort, je ne sais pas le verbaliser. L’écriture est une porte pour traduire l’émotion. Pour qu’elle ne prenne pas trop de place. Pour qu’elle continue de circuler. D’où le partage. Parce qu’il y a des mots qui sauvent. Et comme les mots m’ont souvent sauvée, je laisse les miens résonner « au cas où ». On a beau avoir les deux pieds dans une ère où chacun est, plus que jamais, seul face à lui-même : nous faisons partie d’un tout qui a sa propre cohérence et où les questions se répondent, si on tend le cœur.

Vos remarques concernant votre propre écriture semblent tenir à la fois, de la « communication », de l’échange et ainsi que vous le notez « de la quête de soi », comment conjuguez vous ces 2 ressorts à la fois ?
Est-ce aussi le fil conducteur de vos ateliers ?
C’est compliqué de parler de ce qu’on ne connaît pas. Ou alors en surface. L’expérimentation est de mise pour aller au cœur des choses. Cependant, tout ce dont on parle est biaisé d’office par nous-mêmes. Tout ce qui traverse le corps en ressort avec sa patte. Et toutes les pattes qui l’ont touché, avec douceur ou violence, avec toutes les nuances entre les deux. L’idée est donc d’aller en quête de celui / celle que nous sommes pour traduire le message le plus justement possible – dans l’instant du moins. Communication et quête de soi sont donc, en ce sens, inévitablement liées. Dans l’écriture comme dans la vie. Et ce qui importe, c’est le chemin. Qu’on peut choisir ou subir. Les ateliers d’écriture créative sont en quelque sorte une proposition d’accompagnement, tant dans l’exploration de son propre univers que dans l’incitation à sortir de sa zone de confort, en résonance avec la richesse d’un groupe. Depuis le temps que j’anime des ateliers d’écriture (avant de me lancer dans l’aventure de auto-entrepreneuriat, j’ai travaillé pendant dix ans en tant qu’animatrice-coordinatrice), je suis toujours émerveillée à la fin de chaque séance de ce qu’une simple proposition d’écriture à laquelle se frottent différents univers peut engendrer. C’est la plus belle preuve que la somme de nos différences est une force qui nous dépasse individuellement.

Quels sont les auteurs, vivants ou morts, poètes ou non, qui vous « intéressent » voire vous inspirent ?
« Je n’ai pas de genre, que des moments », c’est une phrase qui résonne régulièrement en moi. Il m’est extrêmement difficile de nommer sans préciser l’émotion derrière, de faire des listes qui ne sont jamais exhaustives et risquent de devenir obsolètes. Cela dit, ma bibliothèque ne comporte aucune œuvre complète de qui que ce soit. Je crois que ce sont surtout les petits détails – qu’on dits parfois « sans importance » – qui m’intéressent. Pour les auteurs / poètes en tant que tels : ce sont des mots croisés au hasard d’une revue, de la toile, d’un événement, d’une rencontre, d’un rayon de librairie ou de bibliothèque.. qui me font parfois plonger plus profondément dans un travail. Parfois ça dure un temps. Parfois ça dure dans le temps. Mais j’ai tendance à voir la poésie partout, et des poètes en puissance en chacun : dans les mots ou même dans les attitudes. C’est le quotidien, donc celles et ceux qui le peuplent qui m’inspirent le plus. (je dis souvent, lors de mes ateliers d’écriture, que les contraintes sont faites pour être contournées, que chaque réponse est la bonne puisqu’elle est la nôtre - j’espère que vous partagerez cette réflexion et me pardonnerez cette réponse-esquive :) )

Poésie écrite, poésie orale : est-ce une vraie question pour vous ?
J’ai croisé un jour le chemin d’un sans-abri auprès de qui j’ai eu la chance de passer un bout de nuit sur le parvis d’une mairie. Il y avait un autre garçon avec un accordéon aussi. A un moment, le sans-abri s’est mis à déclamer des mots. Des mots qui coulaient de lui à la manière d’un fleuve dont le barrage vient de céder. Et qui emporte tout sur son passage, le décor de la ville et les costumes de l’auditoire. L’autre garçon a pris son accordéon pour l’accompagner. Une claque poétique. Comme on peut en avoir en lisant. Mais à laquelle il manque une dimension. Celle du collectif qui se rejoint l’espace d’un instant. Comme lors d’un rassemblement de quelque ordre que ce soit où une même énergie circule. J’ai aussi le souvenir plus récent d’un concert d’une harpiste donné dans une église. Dans les pauses de mes rêveries où la voix et la musique m’emportaient : je regardais l’assemblée. Tous avaient les yeux rivés sur l’artiste, les fesses vissées au banc de l’église : pourtant chacun était plongé dans son propre univers façonné par cette émotion partagée. C’était comme si le plafond de l’église – à la manière de la Chapelle Sixtine – se drapait de tous ces horizons emberlificotés. Pour répondre à la question, c’est – je crois – vers ça que je tends profondément : le vivant. Seulement, contrairement au sans-abri, je ne sais pas improviser. J’ai besoin de poser les mots sur le papier en amont. De prendre ce temps avec moi avant de venir au monde avec eux. L’écrit a cela dit l’avantage de la nudité : il n’a pas de voix, pas de visage. Il est invitation à trouver les siens. Écrit et oralité sont complémentaires. Comme ils ont aussi parfaitement chacun leur propre existence.

Et le petit rituel, si vous deviez définir la poésie en 3 mots (pas un de moins, pas un de plus) quels seraient-ils ?
Force. Faille. Nuances.


Myriam OH (Ould-Hamouda) évolue avec le cœur dans les domaines du social et de l’artistique, y trouvant de précieux outils pour planter des graines, qui donneront des plantes et des fruits différents selon le parcours de vie de celui qui les accueille. Poétesse dont le travail s’articule à ce jour autour des thématiques de la communication et de la quête de soi, elle considère l’écriture comme un outil de médiation créatrice et propose des ateliers d’écriture créative nourris par sa double approche sociale et artistique. Comédienne pratiquante, elle travaille en parallèle des projets de spoken worden collaborant avec des artistes issus de différentes disciplines : c’est en donnant vie aux mots par la voix et par le corps qu’elle vibre au plus haut.


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