future mère à son corps défendant

 


Dure Mère, un premier roman de Jeanne Bername

Dans ce premier roman pudique et sensitif, Jeanne Bername nous embarque dans le monde des grossesses gériatriques (survenant aux femmes de plus de 35 ans). Natalie (sans « H ») semble être dépossédée de sa liberté lorsqu’elle apprend, à 44 ans, qu’elle est enceinte et qu’une césarienne sera nécessaire pour libérer son futur enfant. Cet enfant, elle l’a conçu avec son compagnon du moment, Khalil, 37 ans.

Ce texte est un va-et-vient incessant entre présent à assumer et passé parfois regretté. Natalie fut l’une de ses enfants perturbées, se trouvant laide, et qui s’est tournée rapidement vers la « mode » gothique. Père autoritaire, charmeur, sachant se faire violent et omnipotent, collectionnant les conquêtes avec lesquelles le courant ne passait pas toujours avec Natalie qui a préféré opter pour la rupture familiale, évoluant dans un environnement fait de familles recomposées plus ou moins bringuebalantes. Et cette évidence révélée par le test de grossesse : « La languette était bleue, il exultait, j’étais sonnée. Soit je venais de trouver un sens à ma vie, soit elle était terminée. Quelque chose en moi avait flanché. Peut-être qu’au fond je le voulais, il paraît que ça n’existe pas vraiment, les grossesses non désirées ». Le doute vient s’installer, suivi des angoisses.

Entre une vie prochainement offerte (l’accouchement) et une existence perdue (retour vers les souvenirs les plus marquants), Natalie a du mal à se positionner dans la société, elle qui fut jadis dépucelée dans un coin perdu d’une campagne blafarde. Aujourd’hui elle vit les souffrances physiques comme psychologiques du don de la vie à venir, avec un enfant mal positionné dans le ventre.

Natalie a beaucoup entendu dire que les enfants rapprochent les couples, comme si le ciment d’une relation devait impérativement passer par l’intervention d’une tierce personne. Elle se souvient de ses propres tentatives de création de couple, toutes conduisant à l’échec. Oui, elle a offert son corps à des hommes, croyant que l’amour naîtrait naturellement, oui elle a pratiqué le libertinage et les relations de domination / soumission. Où en est-elle désormais ?

Les chapitres sur le présent sont brefs mais précis sur l’opération de césarienne en cours. Ceux axés le son passé plus ou moins récent sont plus étoffés mais loin d’être plus joyeux. Car le spleen, la précarité, le sentiment de ne pas appartenir au monde réel ont eu raison de la bonne volonté de la narratrice. Et puis vient pointer l’obsession de la mort, alors que Natalie va donner la vie. Dilemme insolvable.

« C’était arrivé alors que je n’avais même pas de désir d’enfant, pourquoi. Comment je pouvais laisser la vie, dans sa manie de se multiplier, passer à travers moi. La moche était revenue, et elle avait pris un sacré coup de vieux. J’étais un sac, une loque, une baleine échouée. Des vêtements informes cachaient le corps dont j’avais profité une décennie à peine, pour finir par laisser un fœtus se développer sur mes ressources vitales. À mon âge, bien sûr que les dégradations seraient irréversibles. La délivrance allait être une torture, mais ça ne serait que le début, pas la fin. Maintenant était le purgatoire, l’enfer, plus très loin ».

Jeanne Bername semble poser des questions, mais l’absence de points d’interrogation démontre non pas qu’elle doute mais bien qu’elle affirme par la voix d’une Natalie résignée. En parlant de détails dans l’écriture, dès l’amorce, et par ce titre, Jeanne Bername revendique l’état de son héroïne. La dure-mère constitue anatomiquement une membrane qui entoure le cerveau et la moelle épinière. Mais ici, dans le titre, pas de trait d’union. Tout le récit semble jouer en faveur d’une désunion généralisée. Avec soi-même, avec les autres, avec l’existence. Donner la vie est se faire prendre la sienne, qui pourrait de fait devenir toute tracée, sans aucun moyen de s’en sortir, à moins que…

Ce premier roman vient de sortir aux éditions Lunatique, il interroge avec finesse la maternité, la liberté ou plutôt son absence, en tout cas les multiples barrières la repoussant. Entre roman intimiste et récit de vie, il questionne par des pensées féministes le rôle préétabli d’une mère. Il remet en cause la société patriarcale et le rôle dévolu aux femmes, avec lucidité et lenteur, il est un journal intime dévoilé, celui d’une future mère à son corps défendant. Et il est bien sûr à découvrir.

https://www.editions-lunatique.com/

Warren Bismuth pour Des Livres rances



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