« Dans ce petit livre dense et serré comme un poing vengeur, Elsa Dauphin trace le portrait d’une femme qui tente de survivre dans un monde sans pitié. »

 



Elle n’a rien d’attirant, Léa Détrié. Elle ne parle pas, transporte partout une mine sombre, une humeur de chien. Elle ne supporte rien ni personne. En prison, elle fait tout pour éviter ses codétenues. Elle y arrive, en levant la tête, et en regardant le ciel. Mais comment cette femme seule et si discrète, qui travaillait à la plonge dans un restaurant de province, a-t-elle pu se retrouver en cellule ? Elle a crié son innocence, mais tout l’accusait. Elle est la dernière à avoir vu vivant le patron Thierry Racoule, retrouvé le crâne fracassé par une batte de base-ball. Lors d’un atelier d’écriture en prison, sous la plume de la prisonnière c’est une autre voix qui se fait entendre, celle du patron, accoudé à son comptoir et qui contemple goguenard sa petite basse-cour. Il n’a que mépris pour ces gens qu’il embauche, et qu’il manipule. Mais surtout, il y a quelqu’un qu’il déteste, c’est Léa, qui échappe à son contrôle, Léa et « sa tronche de rien du tout.( ... ) Elle fait la gueule. Elle fait toujours la gueule, cette conne ».

Au fil de l’histoire, deux Léa émergent. La misanthrope et l’ornithologue. Celle qui une fois sortie de prison n’entend et ne voit que les oiseaux. Dans ce petit livre dense et serré comme un poing vengeur, Elsa Dauphin trace le portrait d’une femme qui tente de survivre dans un monde sans pitié. Sa force elle la puise dans la contemplation du paysage, dans l’attention qu’elle porte à l’infiniment petit qui la projette loin du monde. « L’apaisement presque soporifique que me procure une étude légère, n’ayant aucun objectif défini, est proche du rêve, sur le fil d’une réalité que je tiens à distance. » À la fois récit naturaliste et journal d’une exilée sociale, ici la légèreté de la nature vient contrebalancer la lourdeur du réel et le drame sous-jacent. L’ouvrage d’Elsa Dauphin rejoint les thématiques qui lui sont chères, comme dans La Compagnie des vaches : l’aliénation dans le travail et la volonté de ceux qui dirigent de faire plier les esprits les plus rétifs.


Virginie Mailles Viard, Le Matricule des anges (février 2022)

 

Captive, un roman d’Elsa Dauphin

Parution le 15 février 2022

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