« J’ai rêvé peur. J’ai rêvé cris. J’ai rêvé force. »

 


Eva Détrier exerçait un métier peu épanouissant. Femme à tout faire dans un restaurant, elle devait supporter les sarcasmes et injures de son patron Thierry Racoule, homme autoritaire, ainsi que les quolibets d’une partie de la clientèle. Eva était plutôt du genre à se laisser aller.

Un matin, deux gendarmes frappent à sa porte. Thierry vient d’être sauvagement assassiné dans son restaurant vers deux heures du matin, d’un coup de batte de baseball. C’est alors que les souvenirs d’Eva remontent à la surface, une surface déjà houleuse et mouvementée.

Maintenant Eva habite dans une maison rurale, s’entend plutôt bien avec son propriétaire, un homme bon, toujours prêt à rendre service. Mais il y a les chasseurs, les tout puissants, qui ont arbitrairement délimité leur périmètre d’action autour de la maison pour buter les chevreuils. « Ils sont restés longtemps, à découvert dans mon axe de vision. Leurs voix portaient jusqu’ici, fortes, d’une gaieté provocante. Des phrases me parvenaient, énoncées avec une clarté délibérée. Je suis restée à l’intérieur, éloignée des fenêtres. C’est vrai, des accidents arrivent. Parfois, des balles ricochent, se perdent, transpercent divers obstacles et finissent leur course dans le mur d’une maison, dans une chambre ou un salon. Ou même dans la chair d’un être humain. Malencontreusement ».

Entre présent incertain, inconfortable et passé chaotique, Eva perd pied. Elle se souvient la prison, entassées à plusieurs dans une cellule sale, l’odeur de la mort, le naufrage collectif, l’espoir en berne. Alors pour remédier à ces arrière-goûts de la vie d’avant, elle se permet des lâcher prise à grands coups d’alcool. Peu ambitieuse, elle est une adepte de la procrastination contemplative. Sa passion, ce sont les oiseaux, qu’elle adore observer.

Ce roman intimiste est celui de la recherche d’une nouvelle vie, d’une identité, celle à mener en campagne, loin du stress des villes. Mais même ici, il faut faire face à l’humain, ses bruits, ses hobbies, les chasseurs représentent ici le parasite, celui qui met un frein au bien-être, les oiseaux en étant l’exact opposé, procurant joie, apaisement et repos, permettant de vider une tête trop lestée à l’intérieur. Mais ce livre fin à l’écriture poétique dégage aussi une atmosphère de polar rural, surtout dans les premiers chapitres, il distille un suspense haletant en filigrane.

Quant à Eva, est-elle équipée moralement, socialement pour connaître le bonheur ? C’est l’une des questions majeures de ce très beau texte. « J’ai rêvé. Mal, par à-coups. Un rêve noir. Un rêve qui frappe le cœur et tord le ventre d’angoisse. J’ai rêvé peur. J’ai rêvé cris. J’ai rêvé force. », cette force qui semble cruellement manquer à une femme qui ne demande pourtant que la paix, mais qui dans son entourage immédiat ne reçoit que le jugement et la violence des hommes.

Récit féministe sur la place de la femme dans une société abîmée par des élans toujours patriarcaux et sexistes, il est une plongée dans le quotidien d’une héroïne cherchant la clé pour s’extirper de cette pression trop pesante, tout en essayant de régler de vieux comptes avec elle-même. A-t-elle assassiné son patron ? A-t-elle été assez forte physiquement pour éclater sa petite tête de dominant ? C’est ce que nous apprend la fin d’un livre qui se lit d’un trait, porté par une écriture maîtrisée et sensible, en particulier lorsqu’elle évoque nos amis ailés. Ce premier roman bref et sombre vient de sortir aux éditions Lunatique, il devrait trouver son public par la qualité de la structure et l’intrigue qui tient en haleine.

Warren Bismuth, pour Des Livres Rances

Captive, un roman d’Elsa Dauphin
Parution le 15 février 2022

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