« ce qu'il cachait en ville et qui le faisait jubiler en privé : le rire, le jeu, la poésie, les chansons, le cinéma… »

 

« Il aime acheter, il adore ça, même. Acheter tout et parfois n'importe quoi, pourvu que ce soit beau, original, étrange, et cher, très cher. » 
Ciel ! Un consommateur effréné, un capitaliste sans complexes… 
Parmi ses acquisitions, le château des Quatre Tours. « Il l'a transformé à son goût, sans se soucier, comme à son habitude, des règles les plus élémentaires de protection des monuments historiques. » 
Mon Dieu ! un vandale, un iconoclaste… 
« Il veut, d'une certaine manière, avoir ses artistes, qu'ils lui appartiennent. »
Horreur ! Un esclavagiste… 
Dans son brillant opus, « Pierre Cardin – tellement de choses à ne pas dire », Gérard Chambre n'hésite pas à les dire, bien entendu, et à mettre en scène ce côté du personnage, qui n'est certes pas, selon la formule consacrée, politiquement correct.
Mais il faut lui rendre grâce de nous dévoiler l'autre côté du miroir ! (royaume cher à l'ami Jean Cocteau). Derrière le Cardin provocateur, tyrannique, capricieux, milliardaire, l'auteur nous montre « ce qu'il cachait en ville et qui le faisait jubiler en privé : le rire, le jeu, la poésie, les chansons, le cinéma… » 
Pierre Cardin
 aimait chanter. Trouvaille : chaque chapitre du livre porte le nom d'un refrain célèbre, en lien avec son contenu (Voyage, voyage… À Paris… J'suis snob…). Il croyait aux rencontres (aux coincidenze, à l'italienne), lui à qui une voyante de province avait promis gloire et richesse. Ces rencontres prennent volontiers la forme de chutes, ou d'envolées : c'est en le heurtant de plein fouet dans un escalier dévalé que Gérard Chambre, étudiant, fait la connaissance du jeune couturier. « À partir de là, le destin en ayant décidé ainsi, j'intègre la maison Cardin, et ce pour plus de cinquante ans ». Cardin lui-même, à ses débuts, entre en collision avec son futur bienfaiteur (celui « vu » par l'extra-lucide) : « Poussé par un client pressé, je fus littéralement projeté contre lui. » Enfin, des années plus tard, celle qui lui avait donné sa première chance en boutique, « dans une envolée spectaculaire (…) atterrit en catastrophe dans ses bras »
D'autres thèmes, noms ou objets se répondent, au fil du récit de Gérard Chambre (acteur, auteur, chanteur, créateur et directeur de spectacles) contant ses itinérances aux côtés de Pierre Cardin (homme d'affaires, génie créateur, rêveur, voyageur - scène hilarante où le signore « Camera » retrouve le signore « Cardino » !). Clin d'oeil aux initiés : le nom d'un magasin de lingerie fine, Les Dessous du ciel, à une lettre près celui de la série télévisé, Le Dessous du ciel, dans lequel le jeune acteur a connu le succès… Autre correspondance : le tabouret salvateur ! Celui sur lequel Pierre et lui vont s'asseoir à tour de rôle, au bar, étant montés au vol dans un train longue distance bondé… auquel fait écho le tabouret de piano qui servira de table volante pour un déjeuner en duo au château des Quatre Tours, Gérard ayant renoncé à conduire son hôte de 98 ans, coincé dans son sofa, jusqu'au salon. 
L'odyssée de cette amitié est narrée avec beaucoup d'esprit. J'ai aimé la poésie qui émane des lieux (châteaux adoptés, navire naufragé transformé en hôtel...) et des listes (collections : de vases, de miroirs, d'instruments de musique, de domaines viticoles, de gares désaffectées...) Si l'auteur manie l'humour, voire l'autodérision, il ne cache pas non plus les défauts de son personnage vedette, mais l'admiration l'emporte. Chez le lecteur aussi, qui les sent animés par une même valeur : « le travail ! le travail ! Et encore le travail ! » À 98 ans, Pierre Cardin déclarait : « J'ai besoin de travailler tous les jours. » Et nous entendons son refrain : « Allez, allez ! En route ! »

Délicieuse chronique savourée sur le site Babelio


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