« Il en reste très peu en France, des survivants des camps. Si on ne leur donne pas la parole maintenant, ça sera trop tard. Il faut transmettre. »

 

Elle raconte l’histoire de son grand-père, résistant et déporté


À partir d’un cahier dans lequel il avait consigné ses souvenirs de 1938 à 1945, Céline Didier retrace l’histoire de son grand-père, ancien combattant, résistant et déporté de Ceyzériat. Au fur et à mesure, le lecteur avance avec elle dans ses découvertes.


Le Progrès Ain - Par Gaëlle RICHE - Le 06-01-2022




Céline Didier a écrit un livre dans lequel elle retrace l’histoire de son grand-père au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Lorsqu’elle se lance, au cours du premier trimestre 2021, Céline Didier n’imagine pas une publication. « C’était pour moi, pour la famille, pour qu’on y voie un peu plus clair. Mais très vite, j’ai senti que débutait une aventure littéraire et introspective. Je me suis dit que ça pouvait être lu par beaucoup plus de monde que juste nous. » Si la Burgienne, qui vit depuis dix ans à Lorient (Morbihan), a décidé de prendre la plume, c’est pour faire la lumière sur un pan de la vie de son grand-père.




Arrêté et déporté en 1944

Hippolyte Thevenard n’a que 19 ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Il œuvre dans la résistance, dans l’Ain, avant de connaître la déportation, en 1944. « Il n’a pas tenu secret le fait qu’il a été résistant et déporté, on le savait tous dans la famille, chez mes grands-parents il y avait plein de livres sur la Seconde Guerre, ils allaient tous les ans au Congrès national des déportés. Mais ça s’arrêtait à ce niveau d’info, rien sur ce que cela représentait. »

Comme tant d’autres, Hippolyte ne parle pas de tout ça. « Il y avait parfois de petites choses, comme les chiffres qu’il avait dû apprendre par cœur en allemand. Petite, ça m’avait vachement impressionnée. C’était son numéro de matricule », se souvient celle dont toute la famille vit dans l’Ain.

À défaut de dire, il va donc écrire. Dans un petit cahier longtemps resté secret. « Il l’a appelé ses Souvenirs, de 1938 à 45. Ce petit cahier a toujours été chez mes grands-parents. Et ma grand-mère l’a remis à ma mère. Début 2021, j’ai eu envie d’aller voir ce qu’il y avait dans ce fameux cahier. »



Un petit cahier longtemps resté secret

Hippolyte y dévoile les événements qu’il a vécus, ce qu’il a ressenti. « Je découvre ensuite d’autres documents petit à petit. J’ai souvent eu ma mère pour lui poser des questions, savoir ce dont elle se souvient ou pas. Elle retrouve des lettres qu’il avait écrites à son retour de déportation à son frère, où il se confie beaucoup. Elle avait retrouvé aussi ce que j’appelle le brouillon : une suite du cahier et où il parle de tout son quotidien de déporté. Très dur à lire. Là j’avais tous les détails. Petit à petit, on avance. Dans ce que je découvre et dans ce que je prends aussi de plein fouet. »

Au fil des trouvailles, Céline Didier tisse l’histoire de son grand-père. Et parle aussi d’elle. « Moi et mes souvenirs d’enfant, et moi à plus de 40 ans, qui me replonge dans cette histoire et qui me pose beaucoup de questions, confie celle qui est professionnelle de la communication et en projets culturels. Sur l’engagement, la résistance, sur nous comment on a vécu les choses plus jeunes. »

Même s’il ne leur a pas donné lui-même, la famille sait qu’elle est chanceuse de posséder ce témoignage écrit. C’est aussi pour ça que le livre n’est pas resté dans le cercle familial. « Il est question d’une partie de l’Histoire qu’il ne faut pas oublier. Il en reste très peu en France, des survivants des camps. Si on ne leur donne pas la parole maintenant, ça sera trop tard. Il faut transmettre. Des retours que j’ai eus, c’est que mon histoire personnelle devient universelle et va au-delà de la petite-fille et de son grand-père et que cela pouvait parler à beaucoup de monde. »

Céline Didier conserve toutefois un regret : ne pas avoir évoqué tout cela avec Simone, sa grand-mère, fiancée à Hippolyte avant qu’il ne soit arrêté. « J’étais très proche d’elle, j’échangeais beaucoup sur plein de sujets, mais même après la mort de mon grand-père, on n’en a pas trop parlé. Juste des petites choses, comme quand la Gestapo est venue à son travail à elle quand il a été arrêté et que sa chef a juste eu le temps de lui dire : “Vite sauve, toi !” Mais sur leur relation à eux, sur l’attente, le fait de ne pas savoir s’il est vivant, je ne sais rien. Aujourd’hui, j’adorerai en parler avec elle. »


C’était ton vœu, éditions Lunatique, 18 €. Disponible dans les librairies de Bourg-en-Bresse.



« Livré par des Français aux SS : une véritable trahison »

Hippolyte Thevenard est né en 1920 à Buellas. Juste avant la guerre, il s’engage pour partir chez les Zouaves, au Maroc. On est en 1938. La guerre éclate et il est envoyé au front dans le Nord. Il est fait prisonnier et travaille pour des familles allemandes, avant d’être rappelé comme soutien de famille. À Ceyzériat, il s’engage dans la résistance et entre dans le maquis de l’Ain. Sur la colline non loin de la commune, on trouve ce qui s’appelle maintenant la cabane du Maquis. Cette cabane a été construite par Hippolyte et deux autres personnes, ils y cachaient entre autres des amis pour qu’ils ne fassent pas le STO en Allemagne.

En juin 1944, il est arrêté à Ceyzériat. Il est envoyé à Bourg puis à Lyon à la prison Saint-Paul. Le 29 juin, c’est le départ pour Dachau. Il y arrive le 2 juillet. « Le fait d’être livré aux SS par des Français, il y a un énorme sentiment de trahison, raconte Céline Didier, sa petite-fille. Ça été très douloureux pour lui. Je le découvre dans les lettres qu’il a écrites à son frère, à partir du moment où il est monté dans le train, ils étaient tous entassés ; il savait que ce n’était pas une super destination qui l’attendait. Il s’inquiétait pour sa famille et sa fiancée, ma grand-mère, qui elle aussi était dans la résistance. Il est resté dix mois à Dachau. Personne n’avait de nouvelles, dans les deux sens, et famille et amis ne savaient pas s’il était encore vivant. »

Là-bas, il a travaillé, à déminer des terrains et dans une usine qui fabriquait des pièces pour des avions. « Les conditions de travail étaient horribles, c’était de vrais esclaves. » Après la guerre, Hippolyte est devenu cheminot. Avec son épouse Simone, ils ont vécu à Ceyzériat et à Grenoble. Ils ont passé leur retraite à Tilipiat, hameau de Vieu-d’Izenave, où vivait la mère de Simone. Hippolyte décède en 1989, Simone en 2018.



Un récit rédigé en vers libres

Céline Didier raconte l’histoire de son grand-père avec ses mots. « Je m’adresse à lui, je lui dis “tu” comme si on était dans un dialogue. Comme si je lui parlais et qu’il venait compléter mon propos, le préciser. Plus on avance dans le livre et plus je lui fais de la place. Les textes sur ses dix mois en déportation, c’est comme si on les avait écrits à quatre mains. Je le cite, donc on sait quand c’est son texte à lui. »

Céline Didier a rédigé en vers libres. Ce n’est ni de la poésie ni de la prose classique. « Cela se lit comme un récit, comme un roman, et il y a une forme poétique, ce qui m’a permis une grande liberté d’expression. Beaucoup m’ont dit que c’était agréable à lire car ça respire. Le fait de revenir à la ligne permet d’insister sur des mots, sur certaines phrases. Cette présentation allège peut-être aussi un sujet qui est très lourd. »


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