« D’ailleurs dans la vie tout est histoire de roues : « landau, poussette, draisienne, trottinette, bicyclette, moto, voiture, canne, déambulateur, fauteuil roulant ». »

 

Si le vélocipède sous toutes les coutures vous donnent de l’urticaire, passez votre chemin ! En effet, dans ce livre il sera question de cyclisme, de biclou, de bicyclette, de petite reine. Et m’est avis que l’auteur est un spécialiste !

« Pédaler est un combat ». Olivier Hervé le démontre avec un grand talent littéraire tout au long de ces 230 pages. Retour attendrissant sur la jeunesse où l’auteur découvre les joies du vélo, se remémore ses premiers tours de pédale comme pour nous faire partager sa première madeleine proustienne. Un goût subtil dans le style, non pas celui du coureur arque bouté sur sa machine, mais bien celui de l’écrivain qui sait où il trempe sa plume : entre poésie, admiration, nostalgie et révolte, Olivier Hervé nous fait parcourir son amour immodéré pour le cyclisme, en spectateur mais aussi en acteur amateur aguerri.

Olivier Hervé est un jeune sportif dans les années 90, partagé entre rugby et cyclisme, mais ce dernier sera bien vite l’objet de son choix. Ici, loin de ne parler que de lui, l’auteur se plaît à nous faire découvrir une impressionnante palette des émotions liées à la petite reine. D’ailleurs dans la vie tout est histoire de roues : « landau, poussette, draisienne, trottinette, bicyclette, moto, voiture, canne, déambulateur, fauteuil roulant ».

Mais ce livre est aussi celui de l’Histoire : celle de la bicyclette mêlée à la Grande Boucle. Anecdotes au cordeau, sélectionnées avec choix. Ainsi ce Gino Bartali (il ne gagnera le Tour de France que deux fois et à dix années d’intervalle, il aurait pu le remporter bien plus mais la seconde guerre mondiale était passée par là) qui faisait passer des documents secrets dans le cadre de son bicycle.

Pédalées est une petite « en-cyclopède-ie » : le Vel d’Hiv, dédié aux courses cyclistes, soudain transformé sinistrement en camp de transit en 1942. En moins tragique les sensations, émotions lors de l’effort, angoisses bien sûr, le tout servi dans une langue fouillée, entre poésie et documentaire cyclismo-littéraire.

Olivier Hervé n’oublie pas ses racines hongroises, ni ses premiers émois sur sa machine, à l’heure où il est de bon ton de jouer aux grands, d’entrer en un mimétisme grotesque avec les héros de son temps, les vainqueurs des principaux Tours, les chevaliers de souffrance. Et cette solitude sur le bitume brûlant ou détrempé, ces sensations de rupture, d’agonie, mais aussi de liberté. « J’ai l’envie sincère, je crois, de ne pas être repéré, d’enfiler une tenue d’anonyme. Alors je bouge, ni touché ni coulé, ombre de silence mue par une sourde culpabilité. C’est mon exode. Je vais là où je ne suis personne, là où je m’habite parfaitement. Le relief, avec ses creux et ses bosses, est ma patrie mouvante. »

L’auteur fait preuve d’un sacré coup de pédale pour nous intéresser à sa passion, par le biais du sport bien sûr, mais aussi de l’Histoire et du social dans un assemblage de philosophie cyclopédique. Ainsi surgit la figure de la célèbre Jeannie Longo, l’occasion pour Hervé de rappeler le rapport homme/femme dans ce sport, de dénoncer les attitudes machistes sentant la testostérone, la femme conspuée. Et ces portraits de deux héroïnes oubliées : Alfonsina Strada et Fiona Kolbinger, « fantassins de l’impossible », splendides.

Puis vient l’ambiance des courses, les supplications d’exploits d’un public connaisseur mais exigeant. Alors le dopage, les abus, les obligations de faire sauter le chrono, de se surpasser, substances illicites à l’appui. Ceci aussi fait partie du Jeu. En parlant de jeu, l’auteur n’est pas avare en jeux d’écriture, s’amusant avec les mots, les tordant, les entremêlant, avant de replonger dans une certaine introspection, celle que lui permet les heures passées seul sur son vélo.

Olivier Hervé n’est pas là pour sprinter, aussi il flâne avec sa plume, aucun désir de résultat, c’est avec tranquillité, calme et sérénité qu’il déroule son texte, ne change pas de braquet, malgré les instants de déroute sur certains cols infranchissables aux noms légendaires. Ce livre hybride et bienvenu est sorti fin 2021 aux éditions Lunatique. Et même si vous n’êtes pas fan de cyclisme, vous pourriez bien vous laisser surprendre par le paysage, et ne pas freiner votre lecture. Un ouvrage dans lequel l’auteur tient fermement le guidon en sachant se mettre en danseuse aux bons moments.


Une recension de Warren Bismuth de l'inépuisable mine d’or Des Livres rances




Commentaires