« Je suis arrivée tard dans la nuit depuis Phnom Penh, sans que cela gêne, sans que cela perturbe l’équilibre des nuages, de la mousson, des ibis géants. »
Je traverse le pont.
D'une berge à l'autre, tout change ;
je le sens.
En moi quelque chose pousse,
quelque chose pleure, quelque chose crie,
et cela marque mon passage vers un stade supérieur.
Les frontières
ne sont pas toujours des lignes tracées sur les cartes.
Parfois elles sont des pleurs,
des claques,
des choix,
et d'autres fois elles sont des bouches qu'on embrasse.
À 28 ans, Charlotte s’est envolée pour le Cambodge, où elle a trouvé un emploi de journaliste. Une nouvelle vie s’ouvre alors à elle, pleine de saveurs et de sensations étonnantes, qu’elle consigne dans son carnet de voyage.
Exploration des territoires et des peaux, tout est tentant et tout se tente quand le goût de l’aventure vous pousse à des milliers de kilomètres de chez vous. Las ! la liberté parfois se paie de larmes et de peur, de choix difficiles et d’inconsolables douleurs, qu’il faut affronter, endurer, surmonter pour être regagnée, cependant qu’à jamais le corps, le cœur et l’esprit sont marqués par une plaie sensible, ici suturée de mots pour panser l’impensable.
Aéroport Tân Sơn Nhất,
Hô-Chi-Minh-City, Vietnam
Je suis arrivée tard dans la nuit depuis Phnom Penh,
sans que cela gêne,
sans que cela perturbe l’équilibre
des nuages, de la mousson, des ibis géants.
Mes premiers pas sur le sol vietnamien sont mal assurés.
Je tangue sous l’épaisseur de la brume,
brûlante et rampante sur ma peau,
et je réalise
que je n’ai plus de maison.
Je vis sous un ciel gros comme l’océan,
avec un sac sur le dos ;
j’y entrepose quelques affaires,
un carnet, des stylos,
cet appareil photo pour les souvenirs.
Autour de moi, les derniers avions se posent sur la piste.
Ils laissent derrière eux des traces scintillantes,
des trajectoires de comètes,
et je ne trouve pas la mienne.
Où est passé mon chemin ?
J’ai vingt-huit ans.
Mes cheveux sont longs, jaunes,
et mes yeux s’adaptent à toutes les circonstances.
C’est pour ça qu’ils n’ont pas vraiment de couleur.
Parfois ils sont gris, parfois ils sont verts,
et lorsque j’approche un peu trop la mer,
ils deviennent bleus.
Suis-je réelle ?
Je n’en sais rien.
Peut-être m’a-t-on inventée,
vaguement revisitée,
pour les besoins d’une histoire qu’on voudrait raconter.
Quelle importance ?
Que l’on puisse me toucher pour de vrai
ou que l’on tâtonne
à trouver les contours de mon corps,
cela ne change rien à ce que j’ai vécu.
Mon seul point d’ancrage, c’est ce grain de beauté.
Calé sur ma joue gauche,
c’est une planète à part,
une grotte pleine et ronde,
et chaque fois qu’il fait trop sombre, je cours m’y réfugier.
pp. 9-11
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