« Tu lui racontes ce que tu veux, même dans une langue qu’elle comprend pas, et elle t’ouvre sa porte. »

  

(couverture : Stanislas Varin-Bernier)
    À paraître le 15 mars 2023

Je traverse le pont.

D'une berge à l'autre, tout change ;

je le sens.

En moi quelque chose pousse,

quelque chose pleure, quelque chose crie,

et cela marque mon passage vers un stade supérieur.

Les frontières

ne sont pas toujours des lignes tracées sur les cartes.

Parfois elles sont des pleurs,

des claques,

des choix,

et d'autres fois elles sont des bouches qu'on embrasse.


À 28 ans, Charlotte s’est envolée pour le Cambodge, où elle a trouvé un emploi de journaliste. Une nouvelle vie s’ouvre alors à elle, pleine de saveurs et de sensations étonnantes, qu’elle consigne dans son carnet de voyage. 

Exploration des territoires et des peaux, tout est tentant et tout se tente quand le goût de l’aventure vous pousse à des milliers de kilomètres de chez vous. Las ! la liberté parfois se paie de larmes et de peur, de choix difficiles et d’inconsolables douleurs, qu’il faut affronter, endurer, surmonter pour être regagnée, cependant qu’à jamais le corps, le cœur et l’esprit sont marqués par une plaie sensible, ici suturée de mots pour panser l’impensable. 


Je pense au Cambodge.

À ce que j’y ai fait, quelques semaines auparavant.

Cette eau sacrée, au Phnom Kulen,

qu’est-ce qui m’a pris de m’y baigner ?

La roche plate et chaude glissait sur ma peau ;

j’avais encore trop marché,

par endroits je saignais,

et,

tandis que les mouvements lents du torrent

soulageaient mes courbatures,

j’ai eu cette image :

un bébé, en moi.

Avec cet homme, à la frontière.

Cet homme que j’avais croisé,

le temps de quelques jours.

Il avait les cheveux bruns et courts,

l’attitude mesurée.

Ses yeux étaient noirs comme le noir de la nuit

qui tombait tel un couperet

sur Khlong Yai Border Checkpoint.

J’avais fait : Merde, où est-ce qu’on va dormir ?

Tout est fermé !

Je ne sais pas, avait-il répondu.

Paraît qu’après la douane, y a une femme

qui offre le gîte et le couvert contre une histoire.

Une histoire ?

Oui.

Tu lui racontes ce que tu veux,

même dans une langue qu’elle comprend pas,

et elle t’ouvre sa porte.

pp. 34-35



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