« Il vient vers elle, elle l’enlace et ils s’embrassent. »

À paraître le 19 juin 2024
128 pages • 14 €

Quatre-vingts ans après Charles Trenet, Benjamin Taïeb s’interroge : que reste-t-il de nos amours ? Nostalgique d’un âge où le futur se conjugue au présent composé des instants partagés avec l’aimé·e, où le monde s’offre à vous dans l’amour qu’on lui voue, où l’on n’a d’existence et la vie de sens qu’à deux, Benjamin Taïeb dissèque, avec beaucoup de minutie et tout autant de facétie, les palpitations d’un cœur, celui de Paul, amoureux de Valérie. Paul et Valérie, qui se voient (seuls au monde et) uniques, alors qu’ils s’illusionnent de la même façon que tout un chacun·e, amoureux•reuse pour la première fois. Leur histoire, tout compte fait, n’a rien d’exemplaire, elle suit à la lettre, ou presque, les exemples abondamment donnés par la littérature, classique ou moderne. C’est l’éternelle histoire des histoires qui ne le sont pas, quand bien même on y croit.


Leur premier baiser, au bois de Vincennes. Depuis leur retour du week-end à la campagne, il ne vit que pour cet instant, ce baiser en sursis. Sans doute Valérie a-t-elle décidé d’embrasser Paul, mais elle veut prolonger ce moment délicieux, ce désir diffus et ô combien merveilleux qui précède le premier baiser. Cela fait deux semaines, un mois peut-être, qu’ils se voient tous les jours. Il lui écrit des poèmes. Mauvais, très mauvais, mais touchants.

Ce matin-là, un dimanche il se souvient que c’est un dimanche, il devait réviser son  contrôle  de  géographie  du  lendemain —, ils vont courir. Elle aime courir, il veut bien courir à côté d’elle. Après l’effort, elle lui dit qu’elle a deux entrées pour Disneyland. Rétrospectivement, Paul trouve le lieu incongru pour leur amour ; disons qu’elle a deux places pour un ballet — Paul n’a jamais assisté à un ballet. Ils iront à l’Opéra Bastille. Il est aux anges. Elle lui demande de prévenir ses parents, qu’il appelle d’une cabine téléphonique. Ils veulent bien qu’il échoue à son devoir de géographie (les parents de Paul sont très sympathiques). Elle l’attend dix mètres plus loin. Il vient vers elle, elle l’enlace et ils s’embrassent. Il ne s’y attendait pas, autrement il n’aurait pas de jogging et, c’est bien connu, il est très inconfortable d’embrasser en jogging. Heureusement, il n’y a pas un badaud à l’horizon, et, de toute façon, l’heure n’est pas à la pudeur : c’est un long baiser au ralenti, un désordre de langues qui fond dans une par- faite symbiose.

pp. 29-31


 

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