Entretien avec Florian Bardou pour Strobomag
Florian Bardou : « La nudité exprimée devant les autres permet d’accepter son corps, quel qu’il soit »
Après Les garçons, la nuit, s’envolent et clubs, Florian Bardou publie son troisième recueil de poésie, Les étés de l’homme nu. Les poèmes racontent la pratique et les joies du naturisme entre gays, dans un monde au bord du gouffre.
Strobo : Pourquoi ce troisième livre consacré à ce thème-là?
Florian Bardou : Parmi les poèmes que j’ai écrits ces dernières années, il y a eu des textes consacrés à la pratique, à l’expérience et au vécu du naturisme. Et puis, j'ai été aussi amené à faire des lectures performées nu. La conjonction d'événements et puis le fait que j'aille notamment à l'île du Levant, où on m’avait proposé de faire une lecture à l'été 2023, a fait que j’ai voulu explorer ces thèmes-là, qui me parlent, qui impliquent une expérience à la fois sensorielle et corporelle, qui se traduisent bien en poésie. Et c’est l’envie d’évoquer des sortes de petits paradis personnels et un peu communautaires aussi, qui font du bien et qui ont leur dimension poétique. Il est beaucoup question de l’Île du Levant.
Qu’est ce qui t’a amené là-bas?
C’est le Levant sans être le Levant. J’ai essayé de retranscrire en poésie une pratique de la nudité, dans un environnement très particulier, insulaire, assez préservé, d'un point de vue écologique presque, puisque c'est à côté d'un parc national [le Parc National de Port-Cros]. J'avais envie de dire quelque chose de cette expérience-là, de ce lieu que j'ai découvert il y a quatre ans, un premier été, grâce à des copains, où j’ai été amené à retourner chaque été depuis.
Mais la nudité en pleine nature, je l'ai découverte en Bretagne, la première fois, avec mon ex, sur une plage. Avant même d'aller au Levant, je l’ai re-pratiquée un petit peu, notamment ce premier été-là, sur des plages naturistes de l'île d’Oléron. Ça m'a tout de suite parlé, dans le sens où j'ai toujours eu un rapport compliqué avec mon propre corps, qui est lié à plein de choses, à la fois de l'enfance et puis aussi des normes qu'on fait peser sur soi, corporelles, etc.
La nudité exprimée devant les autres permet de tenter de se défaire de l'image qu'on a de soi et d'accepter ce corps, quel qu'il soit. Ça m'a beaucoup aidé d'y revenir et c’est aussi une expérience assez sensorielle d'être la bite à l'air, dans l'eau, au bord de l'eau. C'est fort, quoi. Ça fait un bien fou, c'est agréable… Moi, j'ai du mal à remettre le maillot, maintenant.
Dans toute la première partie de ton recueil, les poèmes commencent par « on ». Est-ce que tu vois le naturisme comme une expérience collective?
Tout à fait. J’avais envie de sortir de l'expérience de la traduction poétique, personnelle, avec le « je », et de passer à quelque chose de plus collectif et partagé. Le « on », l'avantage, c'est qu'il est indéterminé, autant d'ailleurs en termes de genre que de nombre. Il est assez englobant et je pense que ça permet de toucher un plus grand nombre qui se reconnaît là-dedans et de sortir de ce rapport qui est forcément très singulier et très subjectif pour décrire une expérience partagée.
Lorsqu'on parle de naturisme, on évoque souvent le fait que c'est une pratique désexualisée, mais ici, finalement, dans ton livre, le sexe vient presque naturellement, ça fonctionne de manière assez fluide.
Quand tu parles de naturisme comme quelque chose de désexualisé, c’est à la fois vrai et faux. Il y a deux choses différentes, il y a le naturisme ponctuel que tu vas avoir à la journée, en te baignant nu quelque part. Mais le désir peut s'exprimer à un moment donné.
Tu peux avoir du désir sans forcément l'exprimer ou passer à l’acte. Cela dit on a aussi des lieux naturistes associés à des lieux de drague, comme le Mont Rose à Marseille ou même à l’espace naturiste à Vincennes. Mais tu sais qu'il y a des naturistes qui y sont très opposés, comment dire, de manière un peu fidèle à cet esprit premier du naturisme désexualisé. C'est vrai qu'il l'est, et en même temps il y a d'autres lieux. Sur un lieu un peu communautaire comme le Levant, tu vis une semaine 24 heures sur 24 avec l'autre, alors forcément il y a du désir. Je pense que c'est un entre-deux, tout ça passe de l'un à l'autre. Mais ce n'est pas parce que tu regardes quelqu'un de nu que tu as du désir sexuel. Et inversement ce n'est pas parce que tu regardes quelqu'un de nu que tu n’en as pas.
Il y a évidemment une dimension très solaire dans ton recueil, mais il y a une dimension aussi presque pré-apocalyptique. C'est un peu « on est nus avant la fin du monde ».
Ça fait écho à la philosophie naturiste qui est un rapport avec la nature. On s’insère dans un environnement qui, en ce moment, est en péril. Je pars de cette expérience. On est dans ce petit paradis — et on peut questionner si c’en est vraiment un — qui est menacé parce que, si on parle de la Méditerranée, il y a de la spéculation immobilière sur le littoral, il y a la pollution plastique et d'autres types de pollutions dans un contexte de changement climatique, dans des étés de plus en plus chauds, etc. Et on ne peut pas abstraire, finalement, ce rapport hédoniste à la vie d'un contexte qui est franchement flippant.
Quand on s'était vus pour le premier recueil, tu m'avais dit que le côté performance t'intéressait. Est-ce que c'est quelque chose que tu as envie de creuser?
Oui. Ça s'est même un peu accéléré parce que ce troisième livre je le porte avec des lectures nu ou quasiment nu puisque pour un petit clin d'oeil je porte un minimum quand je suis sur scène, un petite cache-sexe associé au Levant ou au Cap d'Agde, qui est tricoté. Et je prends mon pied à lire, à déclamer. En tout cas, l'oralité, c'est plutôt ma came. Avec l’asso et la revue d’éco-poésie Foehn, dont je fais partie, c'est ce qu'on porte aussi, c'est-à-dire une poésie très orale, performée, qui peut s'immiscer un peu partout. Et donc oui, ça c'est au coeur du projet.
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