Jérémie Lefebvre a longtemps été harcelé au sein de son collège, près de Rouen (Seine-Maritime). À l'occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire ce jeudi 7 novembre 2024, il a accepté de témoigner de ce qu'il a vécu.
C’était il y a plus de 40 ans, mais il s’en souvient comme si c’était hier. Jérémie Lefebvre a tout juste dix ans lorsqu'il fait sa rentrée des classes, en sixième, au collège de Buchy, au nord de Rouen. Très bon scolairement, le jeune garçon a d’ailleurs sauté une classe et se retrouve avec des jeunes un peu plus âgés que lui.
« Tout de suite, j’ai senti une différence entre eux et moi. Je n’aimais pas le sport, j’avais peur de la brutalité. Je venais d’un milieu un peu plus favorisé que le leur, je me suis senti tout de suite exclu et harcelé, se remémore Jérémie Lefebvre, qui a aujourd’hui 52 ans. On me traitait de PD et de fayot. »
Des humiliations, des claques
L’homme, devenu écrivain et comédien, décrit de nombreuses violences verbales subies pendant deux longues années au collège de Buchy. « C’était très humiliant. Je ne rentrais pas dans leurs critères, j’étais toujours premier dans les matières sans faire d’efforts. En quelques semaines, mon sort était plié et je n’ai pas eu le temps de me faire des amis. »
Jérémie Lefebvre échappe aux violences physiques, même s’il se souvient avoir reçu quelques claques et des chewing-gums dans les cheveux. À l’époque, il n’hésite pas à en parler à ses parents.
Les professeurs s’en aperçoivent, mais dans les années 1980, le terme « harcèlement », n’est pas du tout mis en avant, ni reconnu.
« Je n’arrivais pas à identifier ce qu’il m’arrivait. Je tentais d’ignorer mes harceleurs et je faisais le dos rond. J’avais surtout honte de ne pas réussir à me défendre. »
Le harcèlement : peu évoqué avant les années 2000
Un jour, sa maman décide de passer à l’étape supérieure. Elle refuse de voir son fils se diriger vers l’école la boule au ventre et demande un rendez-vous avec la directrice de l’établissement.
Résultat : cette dernière remonte les bretelles à toute la classe devant le jeune garçon, qui reste sans voix.
« C’est la pire chose qui pouvait être faite, c’était d’une grande maladresse. Tout le monde m’en voulait de se faire disputer à cause de moi. »
J’ai manqué la dernière semaine de cours car les garçons m’avaient promis de me casser la gueule avant la fin de l’année.
À la fin de la cinquième, après deux années de souffrance, les parents de Jérémie Lefebvre décident de le changer d’école. Mais le sort s’acharne. Dans son nouvel établissement, dans une école privée catholique de Rouen, d’autres harceleurs attendent le jeune élève.
À l’époque, c’était une école non mixte - une classe remplie de garçons en pleine puberté. Celui qui accumule les félicitations des professeurs se retrouve avec des mauvaises notes.
Son niveau scolaire dégringole, il perd son goût pour l’école. « Je commençais à avoir des symptômes de dépression, ça n’allait plus du tout. »
Le lycée : le soulagement
L’adolescent poursuit ses deux dernières années de collège avec les mêmes bourreaux. Il s'accroche et retrouve une certaine liberté lorsqu’il rentre au lycée Jeanne-d’Arc de Rouen.
L’ambiance est chaleureuse, mature et décontractée. « J’étais ami avec tout le monde mais ces quatre années de harcèlement ont construit l’enfant que j’étais et ont structuré mon existence. »
Car le harcèlement, qui touche au moins un enfant sur dix en France aujourd’hui, laisse des traces à vie. Ces violences créent sur du long terme des phobies et des rancœurs. « Moi, j’ai gardé une phobie pour le football, les sports collectifs et je ne suis toujours pas à l’aise avec les préadolescents, même 40 ans après », assure-t-il.
Un livre autour du harcèlement
En couple depuis plus de vingt ans, il maintient toutefois une vie sociale assez riche. « C’est beaucoup plus subtil et sournois que cela. Je ne suis pas resté handicapé ou sociopathe ! Cela reste gravé en moi, même si j’ai conscience qu’il y a beaucoup plus grave que moi. »
Le collège de Buchy, le roman fiction de Jérémie Lefebvre.
Le harcèlement : un thème qui a incité Jérémie Lefebvre à prendre la plume il y a dix ans. Dans son roman fiction, Le collège de Buchy, il revient sur cette problématique avec ironie, ambiguïté, rires et larmes.
Un livre qui a d’ailleurs inspiré une troupe de théâtre qui a joué de nombreuses fois dans les écoles. « Je n’ai pas écrit cela pour aller mieux. Ce n’est pas du tout un livre témoignage, mais à l’âge de 40 ans, je trouvais qu’il y avait une matière à écrire quelque chose d’intéressant autour du harcèlement ».
Tous les moyens sont bons pour évoquer ce fléau. Livres, comédies, campagnes publicitaires… L’important pour toutes les victimes est d’en parler pour éviter d’autres cas qui amènent parfois à des drames.
Jérémie Lefebvre se dit d’ailleurs ouvert à une invitation de son ancien collège de Buchy. Aujourd’hui adulte, il aimerait raconter son vécu aux élèves, pour leur montrer qu’il était à leur place il y a 40 ans et qu’il est aujourd’hui sauvé.
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