Le rival
Il y a des garçons comme ça.
Ils n’ont rien dit rien fait ils ne tendent pas le poing ne tapent pas du pied
ils ne vous font pas délirer et pourtant
on est tout de suite submergé par une vague d’aversion pour leur figure de malheur.
C’est irrépressible.
Aucun regard assassin aucun geste déplacé
on n’est pas toisé
pas jaugé jugé
pas agressé
leur regard nous fuit
leur souffle ne nous atteint pas
et pourtant
c’est un ouragan qui nous renverse.
Nos cheveux se hérissent nos oreilles chauffent
nos oreilles sifflent
on devient électrique on ne tient
plus en place
on se sent pousser des griffes de chat dans la gorge
des orties sous la langue
on a le nez qui pique
les yeux qui pleurent
la langue qui colle au palais
nos paumes
sont devenues moites
nos poings
se crispent nos jambes
flageolent
si on se lève on est
foutu
foutu
alors on reste assis
sauf que rester assis
aggrave le malaise. Lui
le garçon aux oreilles décollées ne se rend compte de rien ne comprend rien et pourtant il devrait savoir que sa seule présence constitue une offense
relève d’une promiscuité
inacceptable
insupportable.
Il ne sourit pas et continue à se taire il n’ouvre même pas la bouche ne bat même pas des paupières et c’est ça
qui nous tue
cette rigidité
comme s’il était mort changé en statue de pierre
ou de plâtre
mais pas de marbre le marbre
est ce matériau noble
dont se servent les grands artistes pour représenter les Dieux
pour immortaliser les illustres figures de l’Humanité.
Ce garçon est de chair et parce qu’il est de chair on a
férocement envie de le pincer de le mordre et de le griffer de lui décoller la peau. On aimerait qu’il se casse
la figure on aimerait
qu’il s’écroule les bras en croix
on aimerait lui marcher dessus
le piétiner lui arracher les bras et les jambes
l’écarteler.
p. 47-49

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