Mailles à l'envers, de Marlene Tissot

D'autres extraits de Mailles à l'envers, le prochain roman de Marlene Tissot vous sont ici proposés :


Les départs en vacances
L’habitacle gorgé de nos silences
Et le ronron du moteur

Parfois il arrêtait la voiture sur le bord de la route et s’éloignait pour pisser contre le tronc d’un arbre. Parfois sa pluie jaune acide dégommait une colonie de fourmi. Il s'appliquait à les viser au mieux avec l'air de se prendre pour Dieu, essorant son orage jusqu'à la dernière goutte. Puis il remballait sa bite et sa toute puissance et on repartait sur les routes cabossées, exiler nos désespoirs vers d’autres paysages.




Cet été-là
Avec Joël, on allait souvent se baigner à la rivière. Y avait pas grand-chose d’autre à faire avec cette chaleur. Sur le chemin, on maraudait des fruits pour notre goûter. Un jour on a réussi à choper un poisson et Joël s’est mis en tête de le faire griller. Évidemment, on avait rien pour allumer un feu. Mais il a dit qu’il avait pas besoin de connerie de briquet ni rien, il savait faire flamber le bois rien qu’avec des silex, comme les hommes préhistoriques. J’y croyais pas trop mais je l’ai laissé faire. Au bout d’un moment, comme ça ne venait pas, j’ai dit à Joël de laisser tomber. Mais il était furax. Il voulait absolument y arriver. C’était comme si son honneur en dépendait. Bordel de merde, il marmonnait. Et moi je me suis marrée. Ça lui a pas plu du tout. Il s’est levé. Tu fais chier, il a crié en me poussant. J’ai ripé sur la caillasse humide et me suis affalée dans la grosse flaque de boue. Y avait plein de flaques de boue, parce que la rivière s’était méchamment asséchée. C’était poisseux et glissant et j’arrêtais pas de déraper en essayant de me relever. Du coup, moi aussi j’étais en rogne. T’es qu’un gros con, j’ai fait. T’aurais pu me tuer ! On est resté comme ça à se regarder comme deux cow-boys prêts à dégainer. Et puis Joël a éclaté de rire. On se fait un bain de boue, il a proposé. Et il est venu se vautrer avec moi dans la vase pendant que le poisson mort séchait à côté du silex et du tas de bois. [Extrait]



J'ai perdu mon coeur avec mes dernières dents de lait

Ça sert à quoi toutes ces promesses qu’on se fait et qu’on ne tiendra pas ? Ces toujours, ces jamais. Des mots tellement rigides qu’ils se brisent à la première rafale de vérité. L’amour est une supercherie. J’ai vite fini par le découvrir. J’avais huit ans la dernière fois que j’ai été amoureuse. Comme si mon cœur était tombé avec mes dernières dents de lait. [extrait]



Des trucs plus graves
Papa est rentré. La porte a claqué. J’ai pas faim, il a fait. Il a jeté sa veste sur le canapé avant de s’enfermer dans la chambre. Il sentait le pastis et la sueur. Maman est allée réchauffer le repas sans desserrer les dents. J’ai allumé la télévision. Pour faire diversion. Pour avoir quelqu’un à qui parler. Pour me rassurer. Il se passait sûrement des trucs dans le monde. Des trucs plus graves. Je me répétais ça, jusqu’à ce que le ronronnement des mots finisse par m’apaiser.
Des trucs plus graves.
Des   trucs   plus   graves.
Des     trucs     plus     graves



The other side
J’aurais aimé qu’un rayon de sommeil me dépose au pays des merveilles. Mais les nuits amènent rarement plus loin que les lendemains.


Dans la cours de récré
J’avais juste envie d’être comme tout le monde. Habiter un endroit normal. Pas un hangar vaguement aménagé, squatté par des souris. Je ne voulais plus chier accroupie dans un cabanon en bois. Je voulais une savonnette rose posée au coin d’un lavabo. Je voulais un lavabo. Une salle de bain. Un radiateur une chambre. Ne pas dormir sur un matelas posé à côté de celui des parents. Je voulais un vrai lit, un réveil, une radio, une télé. Pouvoir parler avec les copains du film de la veille ou des chansons à la mode. Je voulais une vie normale. Une famille normale, même si je savais pas trop ce que ça signifiait. J'imaginais ça un peu comme dans les vieilles séries américaines. Une nappe à carreaux sur la table de la cuisine, l’odeur du dîner qui mijote, une mère qui sourit, un père qui rentre du travaille en costume. Et puis je voulais aussi des vrais vêtements, achetés dans des vraies boutiques. Pas ces vieux trucs récupérés, rafistolés. Je savais bien que la pauvreté c’était pas tous les jours facile à porter et j’oubliais pas que tout ça, c’était quand même un peu à cause de moi. Parce que j’étais née. Alors dans la cour de récré, je faisais semblant d’être normale. Je faisais semblant que tout allait bien.




Toutes les photos sont tirées du site de Marlene Tissot que nous vous invitons à découvrir.

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