« Une sacrée fierté. Et beaucoup de travail. »

Ouest-France Entreprises retrace brièvement le parcours sans faute des éditions Lunatique, de la Butte Montmartre au centre historique de Vitré.


À la question de savoir ce que je pensais de la crise de l'édition en tant que toute nouvelle maison, ma réponse tenait en plus de deux lignes. Pour les courageux, la voici :

« Quant à la crise de l'édition, le problème est complexe : trop de production ! Une profusion qui aurait pu être salutaire, car amenant à découvrir de nombreux talents, variés, réellement innovants, et démocratisant une institution jusque-là confinée à l'area germanopratine, mais une profusion qui rime malheureusement avec "confusion", le lecteur étant noyé sous un raz de marée continu de nouveautés ne lui laissant guère d'autre choix que de s'en remettre le plus souvent à une cote de popularité pas toujours justifiée par la qualité. Cercle vicieux, les chroniqueurs donnent la préférence aux ouvrages et aux auteurs qui feront vendre leur journal, les libraires et les bibliothécaires jouant le même jeu, laissant les petits - ceux qui auraient le plus besoin d'une mise en lumière - dans l'ombre.
La petite édition pourrait se comparer à un monde parallèle à ce qu'il est communément appelé l'édition. Le fonctionnement est tout autre, ne serait-ce qu'en termes de marché et de calendrier. Un petit éditeur a tout intérêt à d'abord se faire plaisir en sélectionnant des textes qu'il lui tiendra à cœur de défendre. J'ai coutume de dire que je ne choisis pas un roman parce que je sens qu'il a des chances de plaire au plus grand nombre, mais parce que je souhaiterais lui offrir cette chance. Mon travail n'est pas de donner aux lecteurs ce qu'ils veulent lire, mais de leur proposer de découvrir des œuvres hors du commun, créatives et "dissonantes". C'est d'ailleurs le propos de tout petit éditeur, j'imagine, que cette invitation à lire comme une initiation au plaisir du texte, loin du livre objet de consommation. C'est sans doute aussi pour ça que la créativité n'est pas le seul fait des auteurs mais aussi de ces petits éditeurs qui leur concoctent de beaux écrins en soignant conception et réalisation.
Il est difficile pour tous, petits et grands, de vendre des livres. Puisque l'on a le culte des chiffres, en France, on évoque aisément les succès éditoriaux, clamant avec fierté des quantités à plusieurs zéros. Un premier roman, toutes maisons confondues, s'écoule en moyenne à un peu plus de 600 exemplaires. C'est dire si la nouveauté effraie ! Autant miser sur les valeurs sûres, donc, pour satisfaire la demande. Mais cela ne suffit pas toujours, la durée de vie moyenne d'un livre en librairie n'excédant que rarement trois semaines, car d'autres titres sont entretemps parus et prennent place en tête de gondole.
La petite édition n'a pas ce souci du calendrier (prix littéraires, etc.). Les quantités imprimées varient entre les exemplaires à la demande et les productions réduites, entre 300 et 1000 exemplaires. Les risques sont minimisés, certes, mais en proportion sont souvent plus gros que pour les grandes maisons. La petite édition se pratique beaucoup en plus d'une activité salariale. Le petit éditeur est rarement rémunéré pour son travail, alors qu'il se démène pour porter en même temps toutes les casquettes exigées par le métier.
C'est pure folie aujourd'hui que de se lancer dans l'édition, à fortiori de littérature générale, romans et nouvelles de fiction (il existe ce que l'on appelle des niches : livres scolaires, littérature jeunesse, des secteurs spécifiques où la concurrence se fait rare, voire inexistante, sur lesquelles la crise a sans doute moins d'impact). Mais quel ennui ce serait que d'être toujours raisonnable ! Nous étions prévenus, au lancement de Lunatique, des impedimenta qui jalonneraient notre route. Nous étions loin d'imaginer le travail qu'en vérité ce serait, et notre petit succès - nous avons de fidèles lecteurs en plus de sympathiques auteurs ! - ajoute à la satisfaction d'avoir créé une société tel un label, avec une identité en laquelle des écrivains aussi disparates que ceux de notre modeste catalogue se reconnaissent.
Donc la crise, oui, nous en avons pleinement conscience, tout en la narguant en suivant notre petit bonhomme de chemin, de librairie en salon, pour raconter à ceux qui veulent bien l'entendre la belle histoire de gens passionnés ayant choisi de faire ce qui leur plaît. Et je vous assure que rien n'égale l'émoi de la découverte d'un manuscrit pour nous ! »

Commentaires

  1. Pascale,

    Je vais piquer tes propos pour les mettre sur « les penchants » en me disant que chaque point pourrait être approfondi dimanche prochain au « bar d'à côté » après, bien sûr, avoir présenté les livres et textes du catalogue « Lunatique ».
    Si ce copiage te gêne, dis-le moi.

    A bientôt.

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    Réponses
    1. Il ne manquerait plus que ça, que ça me gêne ! D'ailleurs, je pensais emporter mon "matériel scolaire" dimanche, ce dont je me sers lors des interventions en milieu scolaire pour présenter la petite édition.

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    2. Ah oui, je suis curieux de voir ça !

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    3. ;-) (j'ai illustré tout ça par Le Tricheur à l'as de carreau de Georges de La Tour)

      Bonne soirée.

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    4. Et pas seulement : je viens de lire ta propre réaction, ainsi que la très belle histoire de cet homme de 90 ans qui plante encore des arbres. Et puis, j'étais passée à côté de l'article entièrement consacré à Lunatique, qui débute par la citation de tous les noms d'auteur. Quelle honte !
      Je tâcherai surtout d'expliquer qu'il existe autant de manières d'éditer qu'il y a d'éditeurs, du moins chez les indépendants. C'est sans doute cette invention perpétuelle du métier qui nous rend encore indispensables (malgré ce qu'en disent les auto-édités).

      PS : J'ai vécu un temps à Rouen et mon QG était le Saint-Amand ; un vrai boui-boui en son temps. Voilà un autre sujet de conversation à noter pour dimanche !

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    5. ;-) Le bar était (est ?) le Saint-Amant (le nom du poète du XVIIe siècle : Girard), juste à côté de la place de Saint Amand où Monet est statufié.

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    6. Non, non, il s'agissait bien du Saint-Amand, comme en atteste cette photo des années 70 (http://ick.li/mTaVaK. Tout le site vaut le coup d'œil). C'eût été curieux un choix tout de même bien curieux que d'implanter un bar au nom du poète libertin (Saint-amant) sur la place dédiée au dramaturge (Saint-Amand).

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    7. Ah oui, tu as raison, Pascale. Nous l'appelions chez « La Brique » tant son patron était rougeaud (et lunatique aussi). Je pensais à la taverne, plus bas, dans la rue de Saint Amand, avant qu'elle ne rejoigne la rue Saint Nicolas. Cette taverne portait le nom du poète.

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    8. Ouiiiii ! « La Brique » ! Je croyais que seule ma petite bande de joyeux drilles l'appelait ainsi. Je connais aussi cette taverne (qui existe toujours, apparemment), bien que je l'aie moins fréquentée (la clientèle y était légèrement plus âgée, sans vouloir t'offenser). De même, le café Jeanne d'Arc évoqué dans ton article me rappelle vaguement quelque chose. Y ai-je seulement mis les pieds une fois ?

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    9. ...on continuera de vive voix...

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